L’impasse aux violences (1959) de John Gilling avec Peter Cushing, Donald Pleasence, Billie Whitelaw, George Rose

 

 

 

Disons-le tout net et sans détour, L’impasse aux violences est un sommet du cinéma d’épouvante macabre britannique et certainement le meilleur film de John Gilling, cinéaste intéressant quoique inégal.

A l’origine de ce film ; un fait divers morbide remontant à la première moitié du 19ème siècle, période durant laquelle les médecins, avides de cadavres pour leurs expériences, rémunéraient des « résurrectionnistes » (des profanateurs de sépultures) pour qu’ils les fournissent en chair fraîche (si j’ose dire !). Burke et Hare, deux fidèles fournisseurs du docteur Knox, décidèrent un jour de ne plus perdre du temps dans les cimetières et de donner un coup de pouce à la nature en créant eux-même leur matière première (pour être plus clair : en trucidant vieux alcooliques et autres prostituées pour aller les refourguer ipso facto ).

Cette histoire fut plusieurs fois adaptée sur les écrans, que ce soit aux Etats-Unis (par Robert Wise en 1945 avec Le récupérateur de cadavres) ou en Angleterre (Freddie Francis tourna lui-même sa propre version en 1985, intitulée le docteur et les assassins). N’ayant pas vu ces deux versions, je me garderai bien d’émettre un jugement de valeur mais il semblerait que la version de John Gilling soit la meilleure de toutes.

 

 

Scénariste et réalisateur, Gilling sera par la suite un des piliers de la Hammer, firme britannique qui se spécialisa dans la relecture de tous les mythes fantastiques et dont le plus célèbre rejeton fut Terence Fisher. Moins doué, John Gilling reste néanmoins l’auteur d’une œuvre assez fournie qui mériterait d’être redécouverte. Je connais peu ses films et si La femme-reptile m’avait paru très médiocre, j’ai le souvenir d’un estimable L’invasion des morts-vivants. Quant à l’impasse aux violences (qui n’a pas été tourné pour la Hammer), ça reste un petit joyau de noirceur morbide.

 

 

Dès les premiers plans où des résurrectionnistes déterrent un cadavre en putréfaction, Gilling nous plonge dans un univers glauque et délétère. La froide perfection de la mise en scène (très belle photo contrastée, beau travail sur la lumière qui surexpose les visages dans une blancheur qui évoque à la fois la mort et la folie…) contraste avec l’horreur de ce qui est montré (même si le film est plutôt suggestif). D’une certaine manière, elle épouse la manière de voir du docteur Knox, incarné de manière magistrale par l’immense Peter Cushing. Celui-ci est un parangon du scientisme total. Il ne croit ni à l’âme, ni à l’individu mais aux progrès de la science et à sa toute-puissance. Il ne se pose aucune question d’ordre éthique lorsqu’il s’agit d’acheter des cadavres et ne cherche pas à connaître les raisons de la mort de ses « « patients ». C’est cette même froideur aristocratique qui dicte la ligne de conduite du récit et de la mise en scène. Par cette rigueur qui ne cherche ni à masquer les horreurs dont il est question, ni à jouer sur la complaisance émotionnelle, Gilling parvient à créer un climat glauque, morbide qui se révèle assez oppressant. Jean-Pierre Bouyxou a raison d’écrire que le film est la description presque médicale de la « corruption des corps, des esprits, des institutions, des préceptes. » de l’époque.

 

 

Par certains côtés, L’impasse aux violences rappelle le Frankenstein de Whale. Mêmes questions quant au devenir de la science et les excès qui se produisent en son nom ; mêmes scènes de foule où le peuple tente de lyncher un « coupable ». Un des coupables (Hare) est ici incarné par le tout jeune Donald Pleasence (qui, par la suite, sera l’inusable docteur poursuivant Michael Myers dans la série Halloween). Il est inquiétant en diable et absolument parfait dans le rôle de ce type abominable (qui, dans la version de Robert Wise, était tenu par Boris Karloff).

Ce qui frappe chez Burke et Hare, c’est leur absence de grandeur et leur veulerie. Ce sont de minables alcoolos qui commettent des crimes par avidité. C’est là qu’on peut également parler de « corruption » : Gilling les montre dans toute leur lâcheté, fréquentant des lieux mal-famés (un cabaret (1), les bistrots…), nabots cupides à l’image d’une société en pleine déliquescence.

 

 

Et pour conclure, après vous avoir une fois de plus chaleureusement recommandé ce film interdit aux moins de 18 ans lors de sa sortie, je vous livre en bonus le commentaire que fit à l’époque l’inénarrable Office Catholique dont nous devisions il y a peu  avec mon ami le cinéphage: « Des scènes macabres et violentes –crimes crapuleux et scènes de cabaret graveleuses- sont le cadre de ce fait-divers peut-être authentique, mais à peine croyable. Passer sur tous les crimes pour faire avancer la science : l’auteur semble poser la question sans la résoudre positivement, puisque le succès du professeur est complet. Cette ambiguïté et le contexte sordide feront déconseiller le film. » (2)



1 D’après Bouyxou, une version plus « corsée » du film aurait été tournée pour l’exportation, laissant voir quelques nudités féminines lors d’une séquence assez orgiaque. Malheureusement, ce n’est pas cette version que nous a proposée Ciné Classic hier soir…

2 J’ai trouvé cet avis ainsi que la plupart des renseignements donnés dans cette note dans l’excellente analyse de Jean-Pierre Bouyxou figurant dans le numéro 20 de Fascination (2ème trimestre 1983).

 

 

 

 

Retour à l'accueil