Lady Chatterley (2006) de Pascal Ferran avec Marina Hands, Jean-Louis Coulloc’h, Hippolyte Girardot, Hélène Fillières

 

 

Comme je le laissais entendre dans un commentaire récent, je suis allé voir ce film avec des sentiments partagés entre l’intérêt que je porte au travail de Pascale Ferran et une certaine inquiétude face à l’accueil dithyrambique de la critique me rappelant un Dans Paris de sinistre mémoire !

J’avais beaucoup aimé Petits arrangements avec les morts, premier long-métrage de Pascale Ferran et œuvre ambitieuse rompant de manière audacieuse avec le naturalisme alors à l’ordre du jour dans le jeune cinéma français. L’âge des possibles était moins réussi mais plutôt séduisant même si je confesse avoir pratiquement tout oublié de ce film (à part qu’on y reprenait en chœur les chansons de Peau d’âne et que, de ce fait, il ne pouvait pas être totalement mauvais !). Pour son troisième film, Pascale Ferran prend une fois de plus une nouvelle bifurcation et se risque à l’adaptation d’un classique de la littérature anglaise.

Soyons franc : d’une part, je n’ai vu aucune des adaptations précédentes de l’amant de lady Chatterley (signées Marc Allégret et Just Jaeckin, je mettrais volontiers la main de Philippe Val au feu qu’elles ne valent pas tripette !) ; de l’autre, je n’ai pas lu le roman du « galope-les- cotillons aux fesses en gouttes d’huiles » [Noël Godin] D.H.Lawrence ! Impossible donc de juger la fidélité de la cinéaste au bouquin (mais après tout, on s’en fiche pas mal !).

 

 

Tout le monde connaît néanmoins l’argument principal du récit. Lady Chatterley, jeune aristocrate, est mariée à un homme paralysé des jambes et impuissant, richissime propriétaire des mines du coin. Pour tromper son désœuvrement, elle va succomber au charme de son garde-chasse, le bourru Parkin. Pour les cinéastes qui veulent s’encanailler, c’est du petit lait : une bonne dose de passion torride avec, en sus, le doux matelas du discours social (le fantasme de la grande bourgeoise se faisant posséder par le prolo est certainement l’un des plus répandus dans le cinéma érotique).

Ceci dit, Pascale Ferran n’est pas une cinéaste érotique et ce qui l’intéresse dans Lady Chatterley, c’est le roman d’apprentissage. Son film se décline autour du thème de la découverte (les premiers plans, laissant suggérer un espace inconnu à défricher dans le paysage, sont très beaux) : découverte des corps, découverte de la passion et découverte des rapports sociaux.

Le film débute vraiment lorsque Constance découvre pour la première fois Parkin, torse-nu, en train de faire sa toilette à côté de cette petite cabane qui deviendra leur lieu de rendez-vous. Belle scène où la cinéaste coupe abruptement le mouvement de son actrice et laisse un petit temps de suspension avant de découvrir l’objet du désir qui va germer chez notre héroïne. L’intelligence de la cinéaste est de suivre entièrement et progressivement le processus de dévoilement. A cette scène répondra en contrechamp le moment où la Lady contemple son corps nu dans la glace, comme si elle le découvrait pour la première fois. Eveil au désir, à la sensualité de son corps : Pascale Ferran construit le récit de cette passion autour de cette découverte. Si les amants font relativement vite l’amour, ils commencent par garder leurs habits. Ce n’est que vers la fin du film qu’il y aura une vraie découverte du corps de l’autre et une véritable libération de ces corps.

Selon moi, c’est l’aspect le plus réussi du film et on ne peut lui dissocier l’intelligence d’un casting admirable en tout point. En Parkin, Jean-Louis Coulloc’h apporte son corps mal dégrossi et son allure un peu pataude et renfrognée. Il est parfait. Face à lui, Marina Hands est tout simplement stupéfiante. Je crois n’avoir jamais vu une actrice pareille : mis à part sa beauté singulière, elle est totalement juste (dans ses réactions à la fois très naïves et très caractéristiques de sa position sociale) et totalement d’ailleurs. Sa grâce éthérée, ses attitudes à la fois très maniérée et enfantine rendent son jeu toujours inattendu. On est toujours sur le fil du rasoir (à la limite du ridicule ou de l’irritation) mais elle s’acquitte de ces difficultés avec une vérité époustouflante. Elle est extraordinaire. N’oublions pas non plus H.Girardot, très bien dans le rôle du mari infirme et rigide.

 

 

Ces corps qui se découvrent vont donc vivre une passion torride. Là encore, le film joue la carte du dévoilement progressif des sentiments. Même si très vite ces deux cœurs s’enflamment, les mots et les gestes ne suivent pas. Pascale Ferran filme très bien la gêne qui suit la première escapade amoureuse des amants. Et tous ces mots qui ne viennent pas : de la part de Constance parce qu’elle ne les connaît pas et de la part de Parkin car il n’y a pas droit (il reste le domestique et peut difficilement imposer ses exigences). Rien que dans les réticences qu’ont les personnages à se tutoyer, on peut lire certaines données de cette passion singulière. Il me semble cependant que cet aspect manque un peu, sinon de chair, au moins de flammes. J’y reviens rapidement mais le film me semble un peu trop « sage » et, pour dire vite, ce n’est pas la passion de L’empire des sens.

 

 

En entamant une liaison avec le garde-chasse, Lady Chatterley prend également conscience des rapports de classes (je sais, le terme est démodé mais il est adéquat ici puisque le film se situe à une époque où ces rapports étaient encore visibles). Pascale Ferran reste assez fine lorsqu’elle arrive à montrer ces rapports au sein même du couple. Par la manière qu’elle a d’investir le « territoire » du garde-chasse, de l’utiliser presque comme un « homme objet » au début de leur liaison (je viens quand j’en ai envie pour mon petit moment de plaisir et basta !), par la manière de lui parler (cet incroyable remerciement après l’amour), Lady Chatterley trahie à chaque instant son appartenance à la classe dominante. La cinéaste a l’intelligence de ne pas forcer le trait et de montrer plutôt comment les processus sociaux sont intégrés au cœur de chaque individu (Parkin est l’exemple même de cette fameuse « servitude volontaire » dont La Boétie nous appelait à nous dépêtre).

Par contre, lorsqu’elle veut faire entrer l’arrière-plan social dans son film, c’est moins convaincant. Lorsque Constance regarde les ouvriers sortir de la mine (est-ce le regard paternaliste de la patronne ou un regard libidineux ?) ou lorsqu’elle discute « socialisme » avec son mari ; on se dit que Ferran cherche à payer son tribut au discours social de l’époque. C’est assez maladroit et paradoxalement, ça nuit au discours général du film. En voulant faire de son héroïne une femme «incroyablement moderne » (dixit Télérama) , Ferran semble juste passer une petite pommade progressive pour mieux justifier une situation qu’il n’y a pas lieu de changer (pourquoi lady Chatterley lâcherait-elle tout pour son ours prolétaire alors qu’elle a le confort et qu’elle se débrouille pour en jouir à sa guise ?)

 

 

Mais après tout, je n’ai pas envie d’aller chercher des poux dans la tête de la cinéaste à propos de son discours social puisqu’il me semble que le véritable propos du film n’est pas là. Ma principale réserve (en exceptant le fait que 2 heures 40, c’est trop long !) vient de cette « retenue » que j’évoquais plus haut. D’une certaine manière, je trouve le film trop calibré : la cinéaste sachant parfaitement jusqu’où ne pas aller trop loin. Elle sait qu’une adaptation littéraire d’époque fait peser l’épée de Damoclès de l’académisme le plus rance dans lequel se sont perdus même ceux que l’on considère comme des « auteurs » (voir les très médiocres Destinées sentimentales d’Assayas). Elle arrive donc à trouver un juste équilibre entre un ensemble très soignée (photo impeccable, cadre plutôt beau…) et quelques « décrochages » pour éviter l’embaumement académique (quelques scènes filmées à la Dardenne, la caméra à l’épaule traquant l’héroïne de dos).

De la même manière, on sent qu’elle veut s’inscrire dans cette lignée (qui passe par des films comme les deux anglaises et le continent de Truffaut ou La leçon de piano de Jane Campion) d’œuvres aux apparences guindées où l’on sent sans arrêt le feu sous la glace. J’avoue que je ne le sens pas vraiment. Et si tout ce qui touche aux corps est bien vu, les rapports amoureux ne me semblent pas assez denses, pas assez vibrants (encore une fois, elle ménage un équilibre trop calculé entre le cru qui n’outrepasse jamais la morale en vigueur à Télérama et le suggéré avec de pudiques fondus au noir).

C’est pour cette raison que ma séquence préférée du film, celle que je trouve la plus forte est celle où les amants pètent un câble et vont courir nus dans la forêt sous la pluie. A ce moment, Ferran se « lâche » et n’hésite pas à frôler le kitch (la pluie numérique très laide, les amants qui se couvrent de fleurs…), le lieu-commun (l’innocence retrouvée d’Adam et Eve seuls au monde) et le ridicule. Mais justement, elle ose et la séquence dégage une incroyable énergie et une vérité qui me semble à ce moment parfaitement incarnée (ben oui, les amoureux sont grotesques comme tous les couples quand ils s’abandonnent à leur complicité : et c’est parce que nous sommes exclus de cette connivence que nous les trouvons grotesques).

 

 

Pour un moment pareil, pour les acteurs et un certain sens du dévoilement, le film mérite d’être vu. Ce n’est cependant pas, à mon avis, le chef-d’œuvre annoncé un peu partout même si Pascale Ferran à l’étoffe d’une véritable cinéaste…

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