Merci pour le chocolat
Charlie et la chocolaterie (2005) de Tim Burton avec Johnny Depp, Christopher Lee
Plutôt que de vous proposer un lien vers lequel vous n’irez même pas jeter un coup d’œil, je vous propose en exclusivité mondiale la première réédition d’une note en version revue et augmentée (comment ça, c’est de la pure fumisterie !). Les rajouts sont en bleu…
Deux raisons de se réjouir en allant (re)découvrir Charlie et la chocolaterie : premièrement, Tim Burton retrouve Johnny Depp, acteur avec lequel il a tourné, et de loin, ses meilleurs films (le sublime Edward aux mains d’argent, Ed Wood et Sleepy hollow).
Deuxièmement, le cinéaste adapte le grand Roald Dahl, auteur dont nous avions dis le plus grand bien lorsque nous avions évoqué la sympathique adaptation de Matilda tournée par Danny De Vito.
La rencontre de tout ce beau monde promettait un conte échevelé, plein d’enfance et de fantaisie et le résultat est à la hauteur de nos espérances. Mais commençons par le début.
Charlie et la chocolaterie a déjà été adapté au cinéma dans les années 70 par l’obscur Mel Stuart (pas si obscur que ça puisque le film semble avoir connu un grand succès aux Etats-Unis) qui signait néanmoins avec Willy Wonka and the magic factory un film délicieusement déglingué, avec Gene Wilder dans le rôle du chocolatier Willy Wonka. Par rapport à ce film, Tim Burton a bénéficié de moyens beaucoup plus conséquents lui permettant de totalement lâcher la bride de son imaginaire foisonnant. Pour autant, cette débauche visuelle n’altère pas le charme du conte.
Le célèbre chocolatier Willy Wonka , propriétaire d’une immense et mystérieuse usine sans ouvrier, lance un beau jour un concours au niveau mondial : les cinq enfants qui trouveront un ticket d’or dans une tablette de chocolat Wonka auront le droit de venir visiter ladite usine et les trésors de la chocolaterie. Parmi les cinq moutards sélectionnés, on trouve Charlie, le plus pauvre de la bande qui vit dans une vieille bicoque de guingois avec ses parents et ses quatre grands-parents qui passent leurs journées alités.
Premier constat, Burton reste très fidèle à Dahl et adapte scrupuleusement le livre. Mais l’univers de l’écrivain correspond assez bien au sien (à nuancer), avec son lot de héros décalés et un sens de l’imagination à nul autre pareil. Le cinéaste joue à fond la carte du conte, avec la demeure de Charlie qui semble sortir tout droit du Cabinet du docteur Caligari (aucun angle droit dans cette vieille masure) et la neige pour accentuer l’atmosphère irréelle.
Nous pénétrons dans un monde où la grisaille du quotidien cède le pas au merveilleux et à l’onirisme. Il y a une très belle scène où Charlie faut mine de se résigner au réel. En réalisant qu’il pouvait vendre très cher son ticket, il propose de le faire afin de permettre à toute la famille de manger à sa faim. Mais les grands-parents ont vite fait de le dissuader et de le persuader d’aller visiter coûte que coûte cette chocolaterie. Belle morale : dans un monde soumis au diktat du fric, un rêve ne se monnaie pas et vaut plus que tous les biens matériels de ce vilain monde.
Commence alors la visite de la chocolaterie et de ses milles merveilles (sa rivière de chocolat, ses bonbons qui ne s’usent jamais…), menée de main de maître par l’hôte des enfants Willy Wonka. Dans le film de Mel Stuart, Gene Wilder jouait le personnage à la limite du cynisme, le rendant presque inquiétant. Johnny Depp le joue plus à la manière des personnages qu’il a interprété chez Burton : un pantin lunaire et décalé où demeure un irréfragable esprit d’enfance. Dans le regard qu’il porte sur les êtres et les choses se lit toujours la surprise et l’innocence. Il y a en plus quelque chose qui touche à la phobie chez Wonka (voir sa crispation lorsqu’une des petiotes le serre dans ses bras !). Il règne ici sur un univers qui lui est propre et qu’il a bâti de toute pièce, contre son père et le monde entier. A l’instar de Burton, cet univers fantasmatique où il trouve refuge est un moyen d’échapper à la société. Nous allons y revenir.
Mais qui dit enfance ne dit pas niaiserie (c’est mon credo, vous l’aurez remarqué ! Oui à Miyazaki, à Burton ! Non à Spielberg ! (Je laisse à dessein cette petite provocation pour faire réagir mon ami Vincent qui ne me lisait sans doute pas il y a de ça un an et demi) et de ce point de vue le film, comme le livre, est un splendide réquisitoire contre le royaume de l’enfant-roi. Car les quatre compagnons de voyage de Charlie sont des petits morveux de la pire des espèces. Véruca Salt a gagné son ticket parce que papa est un riche capitaliste qui possède une grosse entreprise et qu’il a acheté une impressionnante quantité de cartons de tablettes de chocolat. Violette est une affreuse petite mâchouilleuse de chewing-gum, aussi stupide et décolorée que sa bimbo de maman. Il y a également un arrogant petit merdeux abruti par sa télé et ses jeux vidéo et un gamin obèse qui n’a pas inventé le fil à couper le beurre.
Ce n’est pas sans une certaine jubilation que nous voyons un film prendre ouvertement fait contre ces sales gamins et leur faire subir les pires des outrages (la petite bourge aux ordures, la vulgaire transformée en myrtille…) A l’heure où tout tourne autour des bambins (pour des raisons purement économiques), cela fait rudement plaisir de voir un film qui s’en prend à l’acculturation desdits mômes via la télé, les jeux vidéos ; qui montre les ravages d’une éducation basée sur le tout est permis (bon, je ne suis évidemment pas pour le retour des châtiments corporels ou pour les « bonnes vieilles méthodes » d’éducation mais il n’y a rien de pire que ces enfants à qui personne n’a su dire non) . Qu’un film crache sur les petits singes consommateurs, voilà qui procure une rare jouissance surtout que c’est pour faire l’éloge de la différence et de l’imaginaire qui n’ont pas cours dans un monde de compétition et de consommation.
Cette dimension « agressive » est ce qui m’a le plus frappé en revoyant ce film. Car si Wonka est un personnage Burtonien en diable, il règne sur un univers qui est à l’opposé de celui que chérit habituellement le cinéaste (avec son côté noir, gothique…). Ici, les couleurs sont pétaradantes et agressives, les chorégraphies sont totalement kitsch et Burton semble revendiquer cette vulgarité destructrice. Car ce qui change, ce n’est pas un de ses personnages (tel Edward et ses mains d’argent) qui se retrouve dans une société à laquelle il ne peut se faire mais une société entière, avec ses tares et ses laideurs, qui est convoquées dans un monde construit par le cerveau de Wonka. Tout se passe comme si Burton, auquel on a pu reprocher son côté morbide, asocial et noir se vengeait en jouant expressément la carte du « solaire », du « sucré » afin de le détruire avec une jubilation vengeresse. Ce ne sont pas les savants fous, les chevaliers sans tête ou les morts-vivants qui sont laids, mais bel et bien le culte du fric, de la compétition, du corps ; la malbouffe et la vulgarité télévisuelle.
Burton fait également, et c’est plus curieux, l’éloge de la famille. Curieux car la seule liberté qu’il prend avec le roman surgit au moment où il se consacre à la généalogie de Willy Wonka et parce que la famille est rarement la panacée chez Roald Dahl (voir les affreux parents beaufs de Matilda ou les vieilles tantes cruelles de James et la pêche géante).
Mais là encore, nous ne sommes pas dans l’apologie sénile et réactionnaire de la famille à la Spielberg mais plutôt dans le fantasme d’une généalogie de cinéma où Tim Burton se voit comme le fils d’une certaine tradition de cinéma fantastique. Enfant, avec un appareil dentaire disproportionné, Willy Wonka est dans la lignée des « monstres » burtoniens, créatures différentes tombées par hasard sur cette maudite planète. Il est d’ailleurs significatif que Christopher Lee (le célèbre Dracula des films de la Hammer) interprète le rôle du père comme Vincent Price incarnait le « père » d’Edward aux mains d’argent. Et comme dans Big fish, il s’agit avant tout pour un fils de se réconcilier avec son père.
Pour conclure, on peut dire que Willy Wonka est un peu l’alter ego de Tim Burton : un grand enfant au commande d’une immense entreprise. Cette taille disproportionnée qui pourrait être un handicap (rappelez-vous le semi-échec de sa trop hollywoodienne Planète des singes) ne pose ici aucun problème car elle est totalement repeinte (dans des tons pastel, à la limite du kitsch parfois) par l’imagination débordante du cinéaste. Celui-ci se permet même quelques parodies assez drôles (notamment un ballet aquatique à la Bubsy Berkeley et un hommage rigolo à 2001, l’odyssée de l’espace : le fameux aérolithe est en fait une tablette de chocolat ! ) C’est parfois un peu clinquant et de ce point de vue, les chansons des Oompa-Loompas étaient mieux dans le film de Mel Stuart.
Mais à cette petite réserve près, cette sucrerie est un délice qui réjouira vos palais de gourmets…