Eloge de McLaren
Camera makes Whoopee et autres courts-métrages (1935-1971) de Norman McLaren
De retour chez moi pour quelques jours après avoir passé les fêtes en famille et n’ayant eu, du coup, que peu de temps à consacrer aux films. Cependant, mes parents ont le bon goût d’avoir l’ADSL et c’est pour cette raison que j’ai pu vous offrir un court extrait de La dialectique peut-elle casser des briques ? du situationniste René Viénet (voir note précédente) et que j’ai profité de You Tube pour découvrir un court-métrage des époux Straub que je ne connaissais pas (ici).
En rachâchant a la particularité d’avoir été écrit par Marguerite Duras et s’avère être une petite fable (prémisse des Enfants) où un enfant décide qu’il ne veut plus aller à l’école afin de n’apprendre que ce qu’il sait (apprend-t-on autre chose de toute façon ?). Petite confrontation absurde avec les parents et l’institution scolaire incarnée par un professeur austère, le film ne vaut pas par son scénario assez inepte (Marguerite Duras oblige !) mais par le tranchant de la mise en scène des Straub. En quelques minutes, ils nous rappellent ce qu’est le cadre (tiré au cordeau) et le montage (sec comme un coup de trique d’instituteur). C’est toujours bon à prendre, même dans le cadre d’un exercice plutôt mineur.
Venons-en au plat de résistance : ces fameux courts-métrages expérimentaux de l’immense Norman McLaren. Deux heures et demie de cinéma « différent », de grattages de pellicules, de jeux avec les couleurs, les formes, les rythmes, avec l’animation image par image…C’est superbe.
Avec ses 20 minutes, Camera makes Whoopee se révèle être le plus long des films du programme. Ballet musical en surimpression où les instruments se mettent en branle tout seul ; ce film n’est pas la plus caractéristique des œuvres de McLaren. Il se situe plutôt dans la tradition du cinéma d’avant-garde français (on pense au ballet mécanique de Fernand Léger) et aux expériences sur le montage des cinéastes soviétiques (Dziga Vertov). Le talent du cinéaste est d’arriver à créer un rythme et une musicalité sans le moindre son. Cette importance du rythme musical perdura par la suite dans toute son œuvre.
De la vingtaine de courts-métrages diffusés, on peut tenter de séparer les films « narratifs », (avec des personnages), des films purement expérimentaux.
Avec ses œuvres de la première catégorie, McLaren tente d’élaborer une espèce de burlesque visuel où l’animation image par image tient un rôle primordial. Les personnages se voient alors confrontés à des objets qui n’en font qu’à leur guise, que ce soit une chaise qui refuse qu’un lecteur vienne poser son séant sur icelle (Il était une chaise) ou un micro capricieux qui perturbe une cérémonie d’ouverture de festival (Discours de bienvenue). Ce mélange animation-prise de vue réelle culmine dans Les voisins, jolie fable où une simple marguerite devient l’enjeu d’un conflit de plus en plus violent entre deux voisins. Avec beaucoup d’humour, McLaren souligne l’absurdité des conflits guerriers et délivre un message pacifiste un brin naïf mais rafraîchissant.
Le cinéaste a connu la guerre et certaines de ses bandes l’évoquent directement, que ce soit sur le mode de l’animation ironique (Dollar dance) ou de la propagande (Keep your mouth shut, où l’on met en garde les populations contre les oreilles ennemies qui peuvent traîner).
Les films expérimentaux de McLaren sont, selon moi, les plus aboutis et ce sont eux qui ont fait une grande partie de sa renommée. Notre homme a réalisé de nombreux films sans caméra, dessinant directement à la plume sur la pellicule, en ayant pris soin de nettoyer les bandes de leur émulsion. Cela donne des films totalement abstraits et foutrement beaux dans le style de Caprice en couleur où les taches colorées semblent naître en même temps que la musique. Le cinéma de McLaren est un cinéma du rythme : les formes jaillissent comme des notes de musique et épousent les méandres des mélodies, que ce soit un bon boogie (Boogie-Doddle) ou le merveilleux morceau de Bach (interprété par Glenn Gould) dans le totalement hypnotique Sphères.
De la même manière qu’il y eut en peinture l’abstraction lyrique et chromatique (basée sur le geste et/ou la couleur) et l’abstraction géométrique (basée sur la forme) ; McLaren a aussi bien expérimenté le jeu des couleurs (Syncromie) que le jeu des formes avec ses Lignes verticales et Lignes horizontales, deux films qui se composent d’abord d’une simple ligne qui se dédouble puis se re-dédouble plusieurs fois pour former un ballet fascinant de lignes mouvantes sur un fond coloré qui change de valeur. Ca peut paraître un brin austère sur « papier » mais à l’écran, c’est totalement musical et fascinant.
Il est très difficile de décrire un cinéma qui se « vit ». Les expériences de McLaren, outre leur beauté intrinsèque, sont pleines d’humour et d’une vraie poésie. Le ballet de sphères sur Bach donne une mesure de l’infini tandis qu’il est impossible de résister à la beauté de Pas de deux, simple chorégraphie à deux où les mouvements des personnages sont soudain figés et, de cette manière, décomposés comme au temps de la chronophotographie de Marey. Le résultat est une merveille de délicatesse, de poésie et de beauté.