Heat (1972) de Paul Morrissey avec Joe Dallesandro, Sylvia Miles

 

 

La formule de Warhol sur le quart d’heure de gloire possible pour tout un chacun est désormais la tarte à la crème permettant de qualifier lapidairement nos sociétés d’informations et de communications. La trilogie de Paul Morrissey, dont Heat constitue le dernier volet, n’a finalement fait qu’illustrer le fameux adage (le devenir icône d’un jeune homme lambda incarné par Dallesandro) tout en explorant son revers (les déchets de Trash) d’un point de vue critique. .

Heat ne raconte que l’histoire de ces parias d’une gloire éphémère : Joe est un acteur ayant connu le succès dans une série alors qu’il n’était qu’adolescent. Après son service militaire, il revient s’installer à Los Angeles dans l’espoir de décrocher un nouveau rôle.

Des trois films, Heat est sans doute celui qui s’éloigne le plus de l’aspect expérimental et « underground » des débuts. La forme brute de Flesh et les provocations de Trash ont laissé place à un film relativement narratif et assez conventionnel quant à sa mise en scène (du « cinéma vérité » très 70’). De la même manière, l’audace sexuelle a quasiment disparu et c’est le film le plus « propre » de Morrissey.

Reste alors un regard assez intéressant sur l’envers du décor du rêve hollywoodien. Joe, gueule d’ange et charisme du jeune premier, évolue dans un espace qui est celui du mythe : le L.A des grandes villas, des piscines et du farniente au soleil…Morrissey persiste à le filmer depuis le début comme une icône mais, de plus en plus, son statut évolue vers celui de l’ange déchu. Le motel où il crèche est, malgré la piscine, assez miteux et peuplé de paumés pathétiques. Il y croise Jessie, une jeune mère célibataire, fille d’une richissime actrice, qui vit ici avec son bébé et une amie sado-maso qui lui brûle le corps avec des cigarettes. Habitent également ici deux frères se commettant dans des shows pornos et dont l’un semble totalement autiste et atteint de priapisme.

Enfin, il y a la propriétaire des lieux, gorgone atrabilaire avec qui Joe se voit plus ou moins contraint de coucher pour avoir des réductions sur son loyer.

A l’image de David Lynch filmant les clodos d’Hollywood Boulevard dans Inland empire, Morrissey joue sur le contraste entre un espace mythique (les « sunlights » d’Hollywood) et la cohorte des parias laissés sur le bord du chemin, à l’image de cette actrice vieillissante (la mère de  Jessie) dont s’entiche Joe.

Quelque chose de pathétique et de finalement assez émouvant se noue entre ses deux personnages dont on ne sait s’ils se mettent ensemble par amour où pour tenter de se sortir eux-mêmes du marasme dans lequel ils végètent. Joe cherche grâce à cette relation un moyen de rencontrer des personnes influentes qui pourront lui permettre de décrocher un rôle tandis qu’elle voit dans ce jeune homme un moyen de s’extirper de sa solitude et de retrouver un brin de son aura de star déclinante.

L’intérêt du film, c’est que Morrissey ne tranche pas : il reste dans une neutralité qui peut désormais être qualifiée de « style». Tout est dédramatisé, malgré certains conflits verbaux. Comme dans Trash, Joe traverse le film avec un souverain détachement, indifférent à tout ce qui se joue autour de lui. Le cinéaste l’utilise comme une icône dévoyée, symbole d’une pure image que l’usine à rêves peut fabriquer et rejeter sans recycler.

Rien de bien étonnant à ce que le cinéaste se soit penché sur le milieu du cinéma pour son dernier film ; le Hollywood des années 70 restant le lieu par excellence du crépuscule des mythes.

Par la suite, Morrissey poursuivra son œuvre de démystification en s’attaquant au cinéma de genre et en donnant naissance à deux relectures délirantes (toujours produites par Warhol) des mythes du cinéma fantastique. Ce sera Du sang pour Dracula et l’invraisemblable Chair pour Frankenstein, peut-être ses meilleurs films…

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