Le surréalisme au service du kung fu
Les 18 filles de bronze de Shaolin (1982) de Chin Loi Yueh
J’avais prévenu l’un de mes fidèles lecteurs : rien ne me fait peur en matière de navet et je pouvais faire bien pire que regarder le jour d’après, en voilà une preuve éclatante aujourd’hui. Pour appréhender un tel objet cinématographique, il faut abandonner tous ses repères, rayer de son esprit la notion de « politique des auteurs » et se plonger délicieusement dans ce qu’il convient d’appeler désormais la « politique du Marquis ». Le Marquis, pour ceux d’entre mes lecteurs qui n’auraient pas l’heur de le connaître, est l’un des brillants collaborateurs de l’indispensable site Matière focale. Régulièrement, il nous livre, sous la forme de succulents abécédaires, des comptes-rendus de films qu’il va puiser dans son immense dévédéthèque. Car le Marquis achète tous les DVD qui lui tombe sous la main, à condition qu’il ne dépasse pas la somme de 5 euros (je ne suis pas persuadé que ce soit le prix exact mais c’est pour vous faire comprendre que seuls les bacs à soldes l’intéressent !). C’est ce que j’appelle une vraie « politique » puisqu’elle permet d’accumuler un nombre invraisemblable de films et de les juger ensuite sur un vrai pied d’égalité.
Je vous vois venir : vous allez me dire que seuls les plus improbables nanars sont déstockés. C’est absolument faux ! Dans le magasin où je me rends désormais (tout est vendu à deux euros), j’ai pu trouver Le sang des innocents de Dario Argento et l’on peut également acheter Zombie de Romero, Furyo d’Oshima et un film de Minnelli.
Dernièrement, la boutique vient d’acquérir tout un stock de galettes estampillées « Bach films » , offrant à l’amateur éclairé un impressionnant panel de films de kung-fu. Devant tous ces titres, le cinéphile orthodoxe ne sait que choisir et opte pour le titre qui lui paraît le plus digne d’attention (comprenez, le titre le plus farfelu, un de ceux qui auraient fait bleuir de jalousie le sinologue Jean-Pierre Papin ! –Cette allusion passera certainement au-dessus de la tête de ceux qui ne regardaient pas les Guignols au milieu des années 90 !) Bref, je me suis précipité sur ces improbables 18 filles de bronze de Shaolin.
Ne comptez pas sur moi pour vous donner des indications « historiques » sur ce film et son auteur. La version proposée ne comporte aucun générique et le « travail » éditorial se limite à une version épouvantablement doublée (j’ai rarement vu pire : les personnages parlent parfois la bouche fermée !). Quant à la jaquette, elle annonce fièrement un film de Chian Lai Ya, ce qui ne correspond pas au nom crédité dans la Saison cinématographique 1984 (gloire à cette revue qui chroniqua ce film lors de sa sortie !) et que je me permets d’utiliser en début de note.
Est-ce que tout cela a de l’importance ? Bien sûr que non ! La seule chose qui nous importe est bien évidemment que tout le monde se bastonne allègrement avec l’espoir, en prime, que les 18 filles « bronzées » du titre soient bien les héroïnes du film...
Mais voilà qu’arrive le moment embarrassant : celui de vous raconter en deux mots de quoi il en retourne dans le film. Et c’est le rouge au front que je dois vous l’avouer : je n’ai strictement RIEN compris. A côté de ce film, Inland empire se déchiffre comme un simple épisode de Derrick ! (« on se demande si l’on n’a pas quitté Shaolin pour Marienbad » se réjouissait le critique de la Saison). Bref, vous avez une sorte de moine qui éduque 18 filles dorées en les forçant à se jeter contre une grosse cloche en fonte (je cherche encore quels réflexes moteurs cet entraînement peut développer), des types qui recherchent une fuyarde, un héros et sa copine qui poursuivent un méchant pas forcément très défini. Ca se complique lorsque tout ce beau monde se travestit, se déguise ; lorsque apparaissent de parfaits sosies d’individus dont on ignore de toute façon le rôle et d’étranges magiciens (qui font voler les pastèques ou qui taquinent leurs adversaires en leur plaçant de vieilles mules- je parle de chaussures- sur la tête !). Comme tout cela est filmé avec une désinvolture qui frise le plus parfait dadaïsme (il faudrait généralement trois plans de plus pour que les raccords semblent logiques), on regarde ça totalement abasourdi, à mi-chemin entre la crise de fous-rires et le plus parfait accablement !
La topographie est des plus hasardeuses (le méchant annonce cruellement à un groupe qu’ils sont tombés dans un piège du temple de Shaolin et qu’ils ne pourront plus s’en sortir et on les retrouve deux minutes plus tard dans la forêt !), les traditions parfois bien sibyllines (un combat est évité parce qu’un type, déguisé en femme, annonce qu’il va pisser !), les combats paraissent totalement étiques et l’on se raccroche à quelques scènes abasourdissantes de surréalisme (ces filles de bronze qui combattent en s’empilant les unes sur les autres !)
C’est totalement nul mais d’une réjouissante nullité !