L’ironie du sort est parfois bien cruelle : mon ordinateur m’a définitivement lâché le jour même où je recevais le modem m’ouvrant les portes du haut débit ! Me voilà donc réduit au silence pour un temps que je ne saurai mesurer dans la mesure où le monde de l’immobilier m’impose un tel racket (je ne connais pas d’engeance plus répugnante que celle de ces agences ! Le plus véreux des banquiers sera toujours plus honnête que ces infâmes pourritures de l’immobilier !) que je ne suis pas certain de pouvoir me racheter du matériel rapidement. Peut-être me faudra-t-il organiser un « Orlofthon ». Nous verrons…

Toujours est-il que cette panne est tombée à pic pour le cinéma français dont j’allais dire le plus grand mal. Si mes dernières notes furent pratiquement toutes consacrées au cinéma étranger, j’ai mis à profit ces dernières semaines pour m’immerger exclusivement (ou presque) dans le cinéma français. La principale idée que j’en retire, c’est que la notion de « politique des auteurs » a été cruellement galvaudée au profit de vulgaires tâcherons confondant style et signature, mise en scène et tics grossiers.

Petit panorama.

 

 

Je ne sais par quelle aberration de l’esprit on en est arrivé à considérer Patrice Leconte comme un « auteur ». Est-ce parce qu’il est parvenu, à la fin des années 80, à aligner trois films (Tandem, Monsieur Hire et le mari de la coiffeuse, plutôt réussis d’ailleurs) un peu plus habités que ce qu’il faisait auparavant ? Possible ! Toujours est-il que je préfère largement les comédies qu’il a tournées avec le Splendid (les deux premiers Bronzés) et avec Michel Blanc (Viens chez moi, j’habite chez une copine) aux infâmes étrons qu’il défèque annuellement depuis (de l’horrible Parfum d’Yvonne aux nullissimes Félix et Lola et La fille sur le pont en passant par le très surestimé Ridicule). Assurément, le désastreux Bronzés 3 : amis pour la vie n’est pas un film d’auteur mais un sommet de bêtise où se rejoint une somme impressionnante d’arrogances crasseuses. Arrogance de ces « nouveaux riches » du Splendid dont le talent  et le brio se sont émoussés depuis un certain temps (je mets à part Michel Blanc) ; arrogance de Patrice Leconte et d’un cinéma tape-à-l’œil et publicitaire.

Les bronzés 3 célèbre en grandes pompes (funèbres ?) les retrouvailles de notaires embourgeoisés qui répètent 25 ans après les mêmes blagues de fin de banquet de sous-préfecture (ah ! la soirée dans le chalet avec les italiens ! Ah ! Jean-Claude Duce coincé en pleine mer comme il fut coincé sur son téléski !…) Le tout sur fond de cartes postales de Sardaigne, sans le moindre rythme ou le moindre mordant. Plutôt mal joué (même si je concède que Clavier, plus sobre, est meilleur que chez Poiré, Gérard Jugnot joue comme un cochon), le film n’arrache qu’un ou deux sourires (si l’on est indulgent !) et se vautre dans la pire des platitudes. Pourvu qu’ils ne prévoient pas un numéro 4 !

 

 

Alain Corneau a suivi un parcours un peu similaire à celui de Leconte. Estampillé dans un premier temps « cinéaste de genre », il se consacra d’abord à la confection d’honnêtes polars dont le point culminant reste le très beau Série noire. Le succès de Tous les matins du monde le propulsa au rang d’ « auteur » alors que ses derniers films témoignent largement d’une totale absence de style et d’un académisme pépère parfois inspiré (le curieux Nocturne indien), parfois affligeant (le nouveau monde). Avec Stupeur et tremblements, il adapte le phénomène Amélie Nothomb et livre une fable satirique sur le monde de l’entreprise au Japon. Sans connaître le roman, je m’imagine que le film lui reste relativement fidèle puisque Corneau recourt à des procédés assez scolaires (la voix-off) qui évoquent d’emblée l’illustration plutôt que la création. Dire qu’on s’ennuie devant ce film serait mentir : la fable est assez piquante, parfois assez drôle et Sylvie Testud qui incarne le rôle principale est assez magique (j’adore cette actrice tombée dont ne sait quelle planète !). Par ailleurs, le résultat est un peu à l’image des livres d’Amélie Nothomb qu’elle pond chaque année : un film de plus, qui n’a rien de honteux mais qui ne répond  à aucun véritable désir de cinéma. Habile mais futile, malin mais sans style ; nippon, ni mauvais !

 

 

Le cas Claude Lelouch est peut-être le plus symptomatique. En découvrant trois de ses films des années 70 (Mariage, le chat et la souris, Robert et Robert), on mesure à quel point l’idée de « cinéma d’auteur » s’est dégradée au profit d’une esbroufe esthétique, d’un effet de signature ; et la manière dont Lelouch anticipe de 20 ans (même plus) ce à quoi se réduit désormais le cinéma « de griffe » française.

S’il y a bien une chose qu’on ne peut enlever au cinéaste, c’est sa très grande direction d’acteur. Que ce soit le couple Rufus/ Bulle Ogier dans Mariage, le trio Reggiani/Morgan/Léotard dans le chat et la souris ou les deux compères Villeret/Denner dans Robert et Robert, tous ces comédiens sont excellents et Lelouch nous offre quelques scènes d’improvisation très réussies. Après, c’est du grand n’importe quoi ! La mise en scène selon Lelouch se réduit à des procédés à la con (l’image colorisée de Mariage, film en « noir et jaune » ; les interminables vues subjectives du trajet présumé de l’assassin dans le chat et la souris, tournées depuis une voiture puis une moto…) et les effets de signature (les chabadabadas d’Un homme et une femme reprit dans Robert et Robert). Il ne s’agit plus de trouver une forme en adéquation avec un propos mais d’exhiber une marque de fabrique tout en se vautrant dans la vulgarité de l’époque (c’est fou comme les films de Lelouch trouvent tout naturellement leur place dans la fange audiovisuelle !). Quant aux « propos » de ces films…(soupirs !)… S’ils relèvent de trois genres différents (un mélo, un polar, une comédie), ils ont au moins en commun leur consternante niaiserie. A côté de ces concentrés de guimauve, Marc Lévy ou Comte-Sponville apparaissent comme de grands penseurs ! C’est dire !

Preuve aussi que les films qui décalque servilement leur époque sans la transcender par l’Art (voir les ridicules apparitions des sommités d’alors : Zitrone, Régine…) se condamnent à un gâtisme précoce !

 

 

Louis Malle est sans doute le plus intéressant des cinéastes dont je vais vous parler aujourd’hui. Son statut reste encore aujourd’hui assez mal défini : compagnon de route de la Nouvelle-Vague (Ascenseur pour l’échafaud, les amants) sans y être véritablement affilié ; il est toujours parvenu à déjouer les attentes. Capable du meilleur (le feu follet, adaptation parfaitement réussie du chef-d’œuvre de Drieu La Rochelle) comme du pire (Vie privée, Fatale…) , il restera comme un grand pourfendeur de tabous qu’il abordera avec une certaine bonhomie académique (la collaboration dans Lacombe Lucien, l’inceste dans Un souffle au coeur, la prostitution enfantine dans la petite). Auteur ou pas ? Difficile de le déterminer mais là n’est pas véritablement le centre du problème. La question, c’est de savoir s’il fait du cinéma et la réponse est « oui » pour le film qui nous intéresse, le très étrange Black moon. A l’instar de Chabrol (Alice ou la dernière fugue) et de Rivette (Duelle), Malle s’est essayé au milieu des années 70 à une forme de fantastique à la française. Le résultat est assez intéressant. Une jeune femme évolue dans un univers de guerre civile entre hommes et femmes et se retrouve prisonnière d’une maison où déambulent une flopée d’enfants nus et un couple mystérieux (Alexandra Stewart et le décidément incontournable en ces pages Joe Dallesandro).

Très peu de paroles et pas d’effets appuyés mais une atmosphère irréelle que Malle parvient à imposer sans peine, en se concentrant notamment sur un impressionnant bestiaire (de multiples insectes à une… licorne !). On ne trouvera aucune explication rationnelle dans ce film mais on peut supposer qu’il s’agit d’une projection mentale d’une adolescente qui voit ses parents se déchirer et qui imagine les rapports hommes/femmes comme une éternelle guerre. Onirisme ? Projections inconscientes ? Qu’importe ! Le film est plutôt soigné (la photo du grand Sven Nykvist est sublime) et intrigant.

 

 

Nous ne ferons pas l’insulte à Josiane Balasko de la considérer comme un auteur, même si je conserve une certaine tendresse pour la verve de Gazon maudit. Avec L’ex-femme de ma vie, elle adapte sa propre pièce de théâtre. Le film n’appelle pas de commentaires supplémentaires tant il est indigent, peu drôle et dégoulinant de sensiblerie sur la fin. Karin Viard est très bien et Balasko, dans un second rôle musclé (une psy de choc !), confirme qu’elle peut être une bonne comédienne. Je n’en dirai pas autant de ses aptitudes à la mise en scène…

 

 

De ce morne panorama (seul le film de Louis Malle est visible) s’est extirpé un seul très grand film (qui, pour le coup, n’est pas français). Nous en reparlons demain…

 

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