Une histoire vraie (1999) de David Lynch avec Richard Farnsworth, Sissy Spacek, Harry Dean Stanton

 

 

Comme l’indique le titre original, The Straight story, David Lynch nous propose de suivre avec ce film les pérégrinations d’Alvin Straight, vieil homme à l’article de la mort qui décide de parcourir plusieurs centaines de kilomètres en tondeuse à gazon pour retrouver son frère et se réconcilier avec lui. Mais si l’on joue sur la signification du mot « straight », le titre nous indique également qu’il s’agit d’une « histoire droite ». Voilà de quoi étonner de la part d’un cinéaste comme Lynch qui nous a plutôt habitués à des sentiers tortueux, des récits-gigognes et aux plus déconcertantes circonvolutions narratives comme le prouvent encore aujourd’hui les débats qui agitent la toile à propos de son dernier opus Inland empire.

Malgré cette lumineuse simplicité dont se pare Une histoire vraie, ce film n’en est pas moins personnel et s’inscrit parfaitement dans la continuité de l’œuvre magistrale de Lynch.

 

 

Qu’est-ce qui, au fond, obsède Lynch depuis ses débuts ? Une seule chose, l’Amérique dont il explore les fondements sous l’angle du mythe et de la famille. Mais à l’inverse des pionniers du cinéma hollywoodien, son approche du territoire américain vise à une complète démystification. S’il manifeste dans ses derniers films un intérêt particulièrement prégnant pour les milieux du cinéma, c’est qu’Hollywood représente le cœur même du simulacre et que c’est en ce lieu que s’est édifié le mythe des Etats-Unis. Or Lynch n’a eu de cesse de gratter la surface lisse du mythe pour aller voir ce qu’elle dissimule et ce qui se cache derrière les pavillons bourgeois de banlieues et la cellule familiale érigée comme pilier de la société.

 

 

Le début d’Une histoire vraie fait songer à celui de Blue velvet : des images ensoleillées d’une petite bourgade paisible où bronze nonchalamment une américaine moyenne. Un bruit sourd trouble soudain ce fragile équilibre. La caméra cherche à contourner ces façades et à aller fouiller dans les recoins cachés de ces maisons semblables.

Par la suite, on apprendra qu’Alvin a fait un malaise cardiaque mais il n’y aura pas cette fois-ci d’oreille coupée ni d’exploration vertigineuse de la noirceur. En quelques mouvements de caméras d’une rare élégance, Lynch a laissé affleurer une étrangeté qui ne quittera jamais totalement un récit qui naviguera pourtant toujours à la surface du quotidien le plus banal.

C’est là la force et la grande réussite du film : s’en tenir à une ligne « claire » sans pour autant renoncer à des obsessions plus noires que nous sentons sans arrêt bouillir derrière le miroir des apparences.

C’est, d’une certaine manière, le film le moins « volontariste » de Lynch (on ne brise pas le miroir pour aller voir ce qui se trouve derrière), le plus « transparent » mais d’une transparence qui laisse justement voir toutes les pulsions et les obsessions qui traversent ses autres films. C’est d’ailleurs assez amusant de voir certaines scènes répéter des situations déjà vues mais « apaisées ». On retrouve par exemple les lignes jaunes des routes filmées de la même manière que dans Lost Highway mais de jour et à 10 à l’heure. De la même manière, une des scènes les plus fabuleuses de ce film (la rencontre avec cette femme qui écrase sans arrêt des daims) rappelle l’inoubliable scène de la femme accidentée dans Sailor et Lula. Sauf qu’ici, le tragique et la noirceur ont laissé place à un humour absurde et décalé.

 

 

Lynch a l’élégance de gommer ici tout sentiment de tragique (voir la très belle manière dont il évite de faire de cette course contre la mort –les deux frères qui doivent se retrouver vivent sans doute leurs dernières années- un suspense putassier) en ne l’éludant pas totalement. On sait que tout cela peut basculer à un moment ou un autre dans des gouffres vertigineux mais il s’agit ici de le suggérer et non de le montrer.

Même chose pour la famille. D’Eraserhead à Inland empire en passant par les mères possessives de Sailor et Lula et les pères incestueux de Twin Peaks ; ont sait qu’elle ne représente pas la panacée selon Lynch. Mais ici, il place son film sous le signe de la réconciliation, comme le prouve la très belle scène, pudique et retenue, entre le vieil homme et une auto-stoppeuse un brin paumée. Il ne s’agit pas de sombrer dans l’éloge pontifiant et moralisateur de la Famille mais de recréer du lien. A chaque instant, on sait quelles vicissitudes peut dissimuler l’institution familiale (il faudrait s’étendre longuement sur le magnifique personnage d’écorchée vive que compose Sissy Spacek, condensé de fêlures et blessures enfouies ) et Lynch, par petites touches, ne cesse d’évoquer les périodes de crise (un incendie) et les conflits pour tenter néanmoins de les résoudre.

 

 

D’une certaine manière, Une histoire vraie refait le parcours des pionniers (celui de John Ford) pour mettre en valeur la beauté des mythes (malgré mon enthousiasme pour Inland empire, la beauté de la photo, du cadre, du montage d’Une histoire vraie me fait regretter que le cinéaste ait définitivement abandonné l’idée de tourner avec de la pellicule) tout en maintenant sans arrêt à la surface du simulacre un tourbillon inconscient de pulsions et de gouffres que le cinéaste n’aura eut cesse d’explorer, avec le brio que l’on sait…

 

 

 

 

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