Les cinéphiles de Louis Skorecki. 1- Le retour de Jean (1988), 2- Eric a disparu (1988), 3- Les ruses de Frédéric (2006) avec Frédéric Beigbeder

 

Force est de le reconnaître : quiconque décide aujourd’hui d’écrire sur le cinéma en électron libre (loin des chapelles que constituent les revues historiques et les institutions spécialisées) est redevable de quelque chose à Skorecki. Je le dis d’autant plus volontiers qu’en réalité, je connais très peu ses textes. Vous êtes marrant ! Pour le lire, il fallait accomplir un acte totalement au-dessus de mes forces : acheter Libé ! Alors parfois, lorsque les bibliothèques s’avéraient quasiment vides en été, je consultais ledit torchon pour lire la prose de Skorecki (en prenant bien garde à n’être vu de personne, préférant être surpris avec Familles Chrétiennes entre les mains,- vous ne connaissez pas ? C’est un tort : c’est là où l’on trouve les chroniques cinéma les plus drôles de la presse française, où l’on fustige comme au temps de l’office catholique la violence et l’érotisme des films par des petits sigles d’avertissement !- plutôt qu’avec Libé !). De temps en temps, j’allais également jeter un œil à ses chroniques sur internet mais c’est tout. Et pourtant…

Et pourtant, il faut bien admettre que son irrévérence envers les canons de la cinéphilie classique, son sens de l’anathème et de l’imprécation, son indépendance d’esprit servent aujourd’hui de référence à bien des lustucrus se piquant d’écrire sur le cinéma (a fortiori sur le net !). Pour le meilleur et pour le pire, d’ailleurs.

Le meilleur côté de ces épigones, c’est cette volonté constante de bousculer les hiérarchies établies et un rapport totalement libre aux films. Le pire, outre un côté Cassandre un peu agaçant (ce côté « le cinéma est mort après Rio Bravo »), c’est la leçon mal digérée et ce désir un peu puéril de se démarquer à tout prix des autres pour recréer finalement de nouvelles sectes snobinardes où l’on tartine des pages et des pages sur des séries télé, les saloperies de la télé-réalité ou les jeux vidéos.

 

Bref, les cinéphiles, composé de trois volets, est moins du cinéma qu’une illustration en images des théories de Skorecki sur la cinéphilie (son texte le plus célèbre restant son Contre la nouvelle cinéphilie que je n’ai pas lu !)

J’ai le souvenir d’une chronique assez fameuse où le critique comparait Hélène et les garçons à du Rohmer. En voyant les Cinéphiles, on se dit que c’est ça : du « Rohmer light », réduit à sa peau de chagrin de « sitcom » (l’extraordinaire travail de mise en scène de l’auteur de Pauline à la plage étant réduit ici à des bavardages entre jeunes gens parlant cinéma). Le premier volet est le plus réussi, le plus « construit ». Le deuxième affiche une économie de cinéma véritablement miséreuse (les plans captent les variations lumineuses du soleil et l’on se retrouve avec des images complètement « cuites » pendant 10 secondes qui deviennent soudainement très sombres et presque illisibles quand un nuage passe devant l’astre du jour) et l’on sent que le cinéaste n’a même pas eu les moyens de louer un appartement pour tourner en intérieur. Quand au dernier volet, tout récent, il est tourné en vidéo et ressemble, là encore, à la plus plate des dramatiques télé.

L’intérêt du triptyque n’est évidemment pas là et repose davantage sur la pensée de Skorecki. Celui-ci raille avec beaucoup d’humour les cultes cinéphiles, les chapelles vénérant leurs saints. C’est parfois très drôle et parfois un peu agaçant (le côté règlement de compte avec les équipes des Cahiers du cinéma de 88 et d’aujourd’hui. Non que j’aie envie de défendre particulièrement ces gens-là mais pour quelqu’un de totalement extérieur à ce monde comme moi, ça paraît à la fois stérile et futile). A l’écran, les jeunes gens évoquent les films récents (le grand bleu ou les ailes du désir en 88 ; Almodovar et Moretti aujourd’hui) et clament quelques paradoxes ou jugements péremptoires que Skorecki doit sûrement prendre à son compte.

A part ça, quelques banalités de base (les écoles de cinéma, ça ne sert à rien. C’est sans doute vrai, n’empêche qu’on retrouve aux génériques un certain nombre d’étudiants de ces écoles –Pascale Ferran, Noémie Lvovsky, Lucille Hadzihalilovic…- qui ont percé depuis) et quelques malveillances assez savoureuses (le gamin qui répète servilement une chronique de Skorecki, lu par Begbeider : image assez féroce des nouveaux cinéphiles en culotte courte dont la pensée se résume à quelques psittacismes).

Quelques piques contre des anciens qui n’en finissent pas de revenir (coucou Douchet !) ou qui terminent « en haut » (au ministère, coucou Bergala !). Le tout avec une désinvolture qui frise l’amateurisme mais qui m’a plutôt amusé.

Si Skorecki n’existait pas, il faudrait l’inventer !

 

 

 

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