La belle captive (1983) d’Alain Robbe-Grillet avec Daniel Mesguich, Gabrielle Lazure, Daniel Emilfork, Arielle Dombasle, Roland Dubillard

 

Je parlais dans une note futile de ces cinéastes dont je n’arrivais pas à découvrir les films. Il a suffit que je couche ces remarques sur papier (si j’ose dire !) pour voir mes vœux exaucés puisque après avoir découvert il y a peu mon premier Griffith, c’est maintenant dans l’œuvre de Robbe-Grillet que je commence à croquer. Du pape du « nouveau roman », je ne connaissais jusqu’à présent que le magistral l’année dernière à Marienbad dont la réussite doit moins, à mon sens, au texte d’origine qu’au superbe travail de mise en scène d’Alain Resnais.

N’ayant pas vu ses films les plus célèbres (l’immortelle, Glissement progressif du plaisir…), je me garderai bien d’un jugement définitif mais force est de constater, au vu de cette Belle captive (son pénultième film), que Robbe-Grillet est loin d’être un cinéaste de la trempe de Resnais et que ses bricolages cinématographiques relèvent moins d’un véritable de travail de déconstruction de la forme cinématographique que de jeux intellectuels un peu stériles.

 

Le titre nous l’indique clairement : Robbe-Grillet entend rendre hommage ici à René Magritte et truffe son film de références picturales à l’œuvre du peintre surréaliste. Il nous embarque sur les traces d’un agent (Daniel Mesguich) d’une mystérieuse « organisation » invité à transmettre un message à un sénateur en danger. Il croise une mystérieuse femme blonde (Gabrielle Lazure)  en boite de nuit et la retrouve gisant sur une route de campagne après un accident. Il lui porte secours mais se retrouve prisonnier d’une vaste demeure occupée par d’étranges individus. Après une nuit traversée par d’inexplicables images, notre bonhomme découvre que la fille a disparu et que son contact est décédé…

 

Difficile de résumer un film où l’auteur n’hésite pas à mêler fantasmes et réalité, vampirisme et érotisme, jouant sans arrêt la carte de l’onirisme, du récit gigogne (les actions semblent se répéter) pour mieux briser la linéarité de la narration. Tous ces aspects m’intriguaient au départ et mon goût forcené pour le surréalisme me faisait appréhender avec beaucoup de bienveillance ce film. Sauf qu’on se rend compte très vite que ça ne fonctionne pas.

Va falloir maintenant que je m’explique car certains ne manqueront pas de me coincer en flagrant délit de contradiction, moi qui porte aux nues quelqu’un comme David Lynch et qui soudain boude les jeux de construction oniriques de Robbe-Grillet. Alors pour faire vite, je résumerai la situation en disant que Lynch ne fait QUE du cinéma (malgré l’extrême richesse de son univers pictural et plastique) alors que Robbe-Grillet fait tout sauf du cinéma. J’entends déjà les hurlements de mon bien-aimé confrère le docteur Devo, grand zélateur de l’auteur de l’Eden et après, alors je vais tenter de préciser.

Dans la belle captive, il n’y a pas de plans : il y a des images. La nuance est subtile mais je vous laisse le soin de méditer cet adage. Robbe-Grillet se contente, la plupart du temps, de filmer des toiles de Magritte telle quelle. C’est parfois assez beau parce que la photo d’Henri Alekan est absolument superbe, mais ce n’est pas du cinéma : c’est de la peinture (on reproche beaucoup aux cinéastes de faire du théâtre ou de la littérature ; pourquoi ne pas pointer ceux qui ne font que de la peinture).

On va me dire : et le montage ? Et la narration éclatée ? Oui, sauf que là encore, je n’y ai pas vu du cinéma mais de la littérature. Il ne faut pas confondre narration et mise en scène : un film peut-être extrêmement linéaire et ne relever que du plus pur cinéma de mise en scène (Cf. La plupart des classiques hollywoodiens) alors que la déconstruction peut n’être qu’une vue du scénario, un « truc » théâtral (même si je l’aime souvent beaucoup, le cinéma de Blier, c’est ça !). Chez Robbe-Grillet, la construction n’a rien d’organique (c’est l’inverse de Mulholland drive) mais relève du plus pur arbitraire d’un scénario omniscient. Il faut entendre la voix-off de Mesguich pour mesurer à quel point la belle captive navigue entre le plus pur pompiérisme littéraire et l’insipidité la plus navrante (je vais sans doute me faire engueuler mais l’écriture de Robbe-Grillet n’est pas tellement intéressante et elle est souvent très pauvre).

 

Alors on se raccroche à quelques belles images, à quelques juxtapositions (le mot me semble plus approprié que « montage ») assez surprenantes et l’on songe, dans les meilleurs moments, à Jean Rollin. Sauf que le surréalisme de ce dernier est totalement cinématographique et qu’il a la modestie de se cantonner à un genre qu’il adule (le fantastique, les vampires…). Ce qui agace chez Robbe-Grillet, c’est ce côté « intellectuel qui mesure ses effets ». Chez Rollin, il y a une forme de naïveté très touchante alors que chez Robbe-Grillet, on ne sent que l’épate un peu chic et toc.

Plus intéressé par la peinture et la littérature, il se montre, par exemple, incapable de diriger ses acteurs qui sont tous très mauvais (à part quelques seconds rôles, comme l’immense Daniel Emilfork). Daniel Mesguisch est épouvantable : il commande un café en déclamant comme sur les planches du Français et l’on a envie de le baffer toutes les fois où il apparaît à l’écran. Gabrielle Lazure est plutôt décorative mais dégage la sensualité d’un plant de fenouil (nous sommes loin de l’érotisme brûlant des films de Rollin). Ne parlons pas de cette pauvre Arielle Dombasle qui apparaît au cours d’une séquence qui lui laisse le temps d’être mauvaise comme un cochon (à part les écrits de son mari, je ne vois pas pire !).

 

Bref, à part un côté visuel assez soigné (tout n’est quand même pas fabuleux et les citations de Cocteau avec ces motards venus d’on ne sait où puent le kitsch des années 80 à plein nez) et une construction narrative qui tient un peu en éveil ; ce premier film que je découvre de Robbe-Grillet ne m’a pas convaincu. Mais j’attends avec impatience que les fans me fassent partager leur enthousiasme…

 

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