L'amour à mort
La fille du désert (1949) de Raoul Walsh avec John McCrea, Virginia Mayo, Dorothy Malone
Au détour d’une conversation à bâtons rompus dans Les cinéphiles, il est question de Walsh. Les jeunes protagonistes du film de Skorecki compare son œuvre à celle de Spielberg et constatent avec justesse que ce dernier, à l’inverse de Walsh, n’est capable d’accoucher que de films totalement asexués. J’ai songé à cette remarque au moment où Wes McQueen (John McCrea) rencontre pour la première fois Colorado (Virginia Mayo) ; la posture provocante de la belle métisse, le regard fiévreux du bandit : tout indique effectivement la violence du désir et la naissance des plus sulfureuses passions. Et je me suis dit que la grandeur de ce cinéma là, c’est de parvenir dans le cadre d’un genre ultra codifié (le western) à embrasser tout l’éventail des passions humaines. Et Walsh d’élever ce qui, après tout, peut sembler n’être qu’un gros joujou pour petits garçons (les bandits et les voleurs, les bagarres entre hommes et les attaques de convois ferroviaires) au rang de tragédie antique, où les paysages majestueux de l’Ouest deviennent le théâtre des affrontements humains sous les regards des dieux et du Destin.
Wes est un repris de justice qui parvient à s’évader grâce à l’aide de ses anciens compagnons. Son rêve est désormais de « décrocher » et de se retirer tranquillement dans une petite ferme. Mais l’un de ses complices compte sur lui pour une dernière mission : l’attaque d’un train et le vol d’un beau magot. Bien entendu, les choses vont mal tourner…
Comme toute tragédie, la fille du désert est d’emblée placé sous le signe du fatum. Plusieurs fois, Wes se voit signifier qu’on n’échappe pas à son « statut » et à sa destinée. Or le destin d’un gibier de potence est de mal terminer. Walsh ne fait pas de cette fin programmée une simple astuce de scénario mais fait de la fatalité le moteur de sa mise en scène. Chacun des personnages semble à la fois prisonnier de son passé et d’un destin auquel il ne pourra échapper. Wes rencontre, par exemple, un homme et sa fille ayant quitté leur région pour venir s’installer plus à l’Ouest et rentabiliser une petite parcelle de terrain. Notre bandit bien-aimé leur porte secours lors d’une attaque de diligence et s’éprend discrètement de Julie Ann (Dorothy Malone). Scénario basique sauf qu’à mesure qu’avance le récit, Walsh fait ressurgir des éléments du passé, complexifie les liens qui unissent les personnages (Wes dissimule son identité et tente de les secourir financièrement, l’attirance qu’il a pour Julie Ann vient de sa ressemblance avec sa fiancée décédée), épaissit l’étoffe de personnages pris dans un ensemble complexe de nœuds sociaux et sentimentaux (le petit propriétaire arnaqué et prisonnier de sa condition d’exploité, la fille qui rêve de promotion sociale et se fait flouer…).
Les rapports entre les bandits (Wes et les deux compagnons avec qui il prépare le hold-up) sont aussi denses et fouillés par un cinéaste qui évoque avec panache la loyauté, la trahison et la cupidité. Outre le poids du Destin, Walsh pose un regard assez pessimiste sur des rapports humains où seul compte l’appât du gain.
Toutes les séquences qui montrent la préparation de l’attaque du train, le hold-up en lui-même et ses divers retournements de situations sont absolument magistrales. On touche avec la fille du désert à cette perfection à laquelle était parvenu le cinéma classique et c’est une pure leçon de mise en scène (l’utilisation de l’espace, les valeurs de plan, le montage : tout est parfait et haletant).
Et puis il y a l’amour… Au poids du Destin, Walsh oppose la violence du désir. Wes tombe donc sur cette volcanique Colorado (encore un personnage marqué par son passé) mais commence par réprimer un désir irrésistible (prisonnier qu’il est encore de l’image de la femme aimée morte qu’il a cru reconnaître sous les traits de Julie-Ann). Mais peu à peu, à mesure que se profile une fin tragique, l’amour les enflamme. Le cinéaste rejoint alors la beauté des plus grands chefs-d’œuvre de l’amour fou (Les amants de la nuit de Nicholas Ray, Duel au soleil de King Vidor… ) et signe une fin totalement bouleversante. Rarement on aura vu une héroïne (combien de pages me faudrait-il pour louer l’incandescente Virginia Mayo ?) aussi éprise d’absolue, se jetant sous les balles pour protéger l’homme qu’elle aime.
Il aurait sans doute fallu parler de High Sierra, de la manière dont Walsh a travaillé les mêmes motifs et les a complexifiés. Mais je ne suis pas un spécialiste de l’œuvre du cinéaste. D’une certaine manière, tant mieux : j’aurai ainsi le loisir de découvrir d’autres chefs-d’œuvre de la trempe de cette Fille du désert…