Brice de Nice (2004) de James Huth avec Jean Dujardin, Clovis Cornillac, Elodie Bouchez

 

 

 

« Ici comme ailleurs, il s’agit d’abord de mobiliser en faveur de ce qui est ; et dans le seul but de son renforcement. » (Philippe Muray)

 

 

 

Je ne sais pas si ça vous fait cet effet, mais il m’est impossible de regarder plus d’une demi-heure s’exprimer les larves politiciennes qui nous gouvernent sans être saisi d’une immense nausée. Et hier soir, nous avons été servis en voyant leurs sales hures réjouies de la « victoire de la démocratie » et cet écoulement répugnant de sanies dégorgeant de leurs sales discours formatés (je n’ai pas eu le courage d’attendre celui de Ségolène mais l’hypocrite componction de celui de Sarkozy m’a largement suffit !). Ok ! Je n’ai pas pu m’empêcher de me réjouir du doigt d’honneur offert aux pitbulls du front national mais j’ai surtout vu hier soir l’affligeant spectacle de la victoire de la trouille ! Démocratie tu parles ! Simple chambre d’enregistrement pour légitimer les mêmes institutions pourries jusqu’à la moelle, les mêmes increvables dinosaures qui relèvent le groin à chaque élection (on a même revu l’ineffable Tapie, passé du côté de la droite dure du roquet de Neuilly ! Puante mascarade !), les mêmes magouilles, prévarications et concussions et le même avenir radieux que nous promettent les deux candidats vainqueurs : libéralisme, paupérisation, progrès (pour qui ? pour quoi ?), normes européennes plus nombreuses (amusant comme ce sont les trois candidats du « oui » qui ont raflé toutes les voix !) et que crèvent ceux qui ne suivent pas ce vaste mouvement unanimiste !

Bref, je vous vois trépigner devant votre écran (« si t’es pas content, fallait aller voter ! ») et vous agacer en constatant, qu’une fois de plus, je dévie de mon sujet de prédilection  (le cinéma) et que je me permets d’inutiles digressions.

Vous allez comprendre ! Lorsque après le vaste dégoût qui m’a envahi à la vue du spectacle lamentable décrit ci-dessus je me suis enfin décidé à zapper ; je me suis retrouvé face à la même chose ! Comme ces élections qui n’offrent désormais plus que le seul horizon d’un monde unifié allant dans le même sens (avec option vaseline ou pas, selon que vous choisirez la gauche ou la droite, mais pour un résultat identique que je ne décrirai pas car vous me taxeriez alors de vulgarité !) ; Brice de Nice contribue, à sa manière, à cette vision du monde.

Bien entendu, il n’est plus question ici de cinéma (James Huth s’avère même être un plus mauvais réalisateur que les Max Pécas et Philippe Clair d’antan) mais d’un pur produit dérivé. Le personnage de Brice est une poupée (avec son fameux geste du bras) dont il s’agit d’inonder le marché sous forme de clips débiles diffusés en boucle sur une chaîne mongoloïde du style M6 et de slogans publicitaires (« cassé !) à livrer clé en main pour les cours de récré des collèges (le film devrait être strictement interdit au plus de 14 ans !).

Tout cela ne serait pas bien grave si ce Brice de Nice n’était pas le plus parfait symptôme de notre ignoble 21ème siècle. Car après tout, ce n’est pas la première fois que je vois une comédie jamais drôle (au sens strict du terme) et dont la bêtise n’a d’égale que la vulgarité (des exemples de répliques comme « on voit tes couilles » ou « t’as pas peur qu’avec tout ce jaune, on t’appelle le roi de la pisse » vous résumeront plus que de longs discours le niveau auquel se situe ce sinistre étron).  

Mais ce que ce « film » a de plus, c’est qu’il résume parfaitement son époque, une époque sans art (voir Clovis Cornillac, acteur pas drôle, qui affirme qu’il n’aime pas les livres où « il y a trop de lettres dedans ») et où règne, selon les mots de Philippe Muray, le business et la clownerie. Tout dans Brice de Nice suinte l’apologie du fric, de l’apparence, des petites nanas faciles qui se trémoussent en bikinis sur les plages ou dans les fêtes. Alors bien sûr, c’est du second degré. Ah ! Ce fameux « second degré » qu’affectionne tant l’époque et qui permet d’éviter que le rire retrouve sa fonction subversive. Brice, c’est vraiment le tonton pénible qui enchaîne, dans les banquets de mariage, les blagues ineptes. C’est encore l’image de ces quadragénaires pathétiques qui s’éclatent en boite sur les musiques de Capitaine Flam et de Candy (toujours le second degré ! ).

Je repensais alors à Buster Keaton, à la fin sublime de Steamboat Bill Jr. où le corps burlesque de l’acteur entrait vraiment en résistance contre le monde et ses éléments. Le rire a toujours été du côté des exclus, des inadaptés, des différents ; une arme pour dénoncer les travers et les injustices d’une société (quand Desproges attaquait frontalement Le Pen, Tapie, Mitterrand, le PC, la droite, la gauche ; il le faisait sans « second degré »). Brice, même s’il joue la carte du looser et de l’autodénigrement, est totalement dans le monde, c’est lui qui en tire les rênes. C’est le prototype du gars plein de fric, sans cerveau (mais, n’est-ce pas, il ne faut pas « se prendre la tête »), uniquement préoccupé par son apparence et son style. Je sais qu’on va me dire que ce n’est qu’un divertissement, que je m’énerve pour rien et que ce genre de truc ne s’adresse de toute façon pas à moi mais je trouve qu’il y a quelque chose de parfaitement effrayant derrière ce Brice de Nice, et ce monde tout jaune  (« sans carie » comme le dirait toujours Muray) m’a quasiment paru fasciste (et ce n’est pas un mot que j’aime employer tant il a été galvaudé, surtout en matière de cinéma !).

J’ai vraiment été profondément gêné par cette scène ignoble où Brice sélectionne ses invités pour sa fête. Si encore le cinéaste l’avait montré refoulant des Noirs, des Arabes, des handicapés, on aurait pu alors voir un reflet de notre monde contemporain et déceler un semblant de regard critique. Mais non, Brice ne refoule que les laides et ceux dont le style n’est pas assez « fun ». Tout « l’humour » de cette saloperie consiste à se foutre de la gueule des moches (voir l’imitation qu’il fait dans le restaurant où il devient serveur) et stigmatiser ceux qui n’entrent pas dans son univers de surf et de fêtes.

Encore une fois, il ne s’agit pas de jouer les moralisateurs « politiquement correct » (Mocky se moque aussi de certaines trognes mais il adopte toujours un point de vue radicalement « hors de la société ») mais de vomir cette attitude qui consiste à affirmer crânement sa place dans un monde merveilleux et de s’appuyer sur la majorité silencieuse pour cracher à la gueule de tous ceux qui refusent ce monde.

Brice de Nice est la négation complète de l’humour et une horreur absolue !

NB : Je viens de découvrir une superbe analyse de ces fameux résultats : c'est ici...

Très bon également : ici

Retour à l'accueil