Politique-spectacle
1974, une partie de campagne (1974-2002) de Raymond Depardon
Printemps 1974, Pompidou vient de calancher et la France vibre (c’est un bien grand mot !) pour la campagne électorale qui s’engage. Valery Giscard d’Estaing innove en tentant, pour la première fois en France, de s’inspirer des méthodes américaines et de s’entourer de conseillers en communication pour faire campagne. Pour immortaliser cette stratégie et suivre ladite campagne, il fait appel à un photographe talentueux qui n’a, jusqu’alors, réalisé aucun film : Raymond Depardon. On connaît la suite : commanditaire du documentaire, Giscard le fait interdire et ne lèvera cette interdiction que…28 ans plus tard.
Depardon aurait-il, à l’insu du futur président, dévoilé des secrets inavouables ou réalisé un virulent pamphlet ? Ceux qui connaissent le style du grand documentariste (Faits divers, Reporters, Délits flagrants…) savent que ce n’est pas son genre. Au contraire, dès ce premier essai, Depardon met au point ce qui deviendra l’essence de son cinéma : pas d’intervention extérieure (voix-off, interviews, commentaires…), une attention constante aux choses mêmes les plus anodines en apparence et une manière de laisser advenir le Réel en jouant sur la durée.
C’est ensuite le montage, toujours très habile, qui permet au cinéaste d’exprimer (ou du moins, de laisser deviner) sa subjectivité.
Dans 1974, une partie de campagne, Depardon prend le parti de rompre avec le spectaculaire et de ne pas faire le jeu de Giscard qui ne veut de lui que pour exalter ses méthodes. Du coup, nous voyons peu le candidat en « action » (pas un mot sur son programme politique, sur les réformes qu’il entend engager…) et c’est plutôt un portrait « en creux » qui se dessine : Giscard dans la voiture qui le mène à un meeting, Giscard élaborant avec ses conseillers une stratégie entre les deux tours, Giscard seul au ministère, découvrant les résultats du second tour à la télé…
Ce que révèle ce film, et c’est sans doute ce qui a fini par gêner le futur président, c’est l’image d’un homme complètement vide, d’un robot qui n’a qu’une ambition : le pouvoir. Depardon, et c’est là que le film est passionnant, filme l’avènement de la politique spectacle dont nous venons encore de subir le lamentable tapage. Giscard n’apparaît jamais comme un homme de convictions ou comme quelqu’un de dévoué à une cause mais comme un chanteur de variétés qui transite de salles en salles sous les hurlements décérébrés de ses supporters et les slogans martelés comme des messages publicitaires (« Giscard à la barre »).
A côté de ce que sont aujourd’hui les requins de la politique (toutes ses ordures qui se réclament de Jaurès alors qu’elles ne cherchent qu’à grappiller un peu de pouvoir !), Giscard apparaît presque comme un brave type, le grand corniaud du village qui vient flatter le rural en prenant bien soin de plaquer tant bien que mal ses deux mèches de cheveux sur son crâne entre deux bains de foule.
Ce n’est pas tant toute la démagogie qui suinte à la vision de ce film qui choque (voir la manière dont VGE tente de grappiller des voix à gauche en choisissant comme ville symbolique de meeting Montceau-les-mines) car il n’y a franchement rien de nouveau sous le soleil depuis Le prince de Machiavel. Le plus répugnant, c’est l’inanité complète de ce jeu politique où des chanteurs ringards (Mireille Mathieu, Charles Aznavour…) viennent ouvrir le show du présidentiable et noyer la pensée sous les hululements de la victoire en chantant (remarquez que là encore, le niveau s’est considérablement dégradé puisque ce sont Glucksmann, Doc Gynéco et Johnny qui soutiennent désormais le matraquage des pauvres, l’aplatissement complet devant les Etats-Unis et de futurs et inévitables attentats sur le sol français !)
Rien ne compte désormais sinon l’image (faut-il aller à un match de rugby où Mitterrand sera ?) et les stratégies de communication (Depardon filme très bien les coulisses du fameux face-à-face télévisé de l’entre-deux tours où Giscard entonnera son fameux « vous n’avez pas le monopole du cœur »).
Depardon met à nu le visage de ce qu’est devenue la politique actuellement. C’est à la fois passionnant cinématographiquement (parce que notre homme est le meilleur documentariste français) et répugnant du point de vue de ce qui est montré.
Mais à deux jours de la grande mascarade, ce n’est pas inutile de se replonger dans cette campagne antédiluvienne pour mesurer à quel point il faut désormais boycotter cette supercherie, résister en ne votant pas.
Jamais !
NB : Ceux qui ne sont pas convaincus par mes derniers mots lapidaires doivent se reporter immédiatement ici, ici et là. Ou encore aux très belles dernières notes de Ludovic