Les anges du péché (1943) de Robert Bresson avec Renée Faure, Sylvie

 

Aucune transition ne vous sera décidément accordée puisque c’est sans vergogne que nous passons des dessous en soie et autres porte-jarretelles affriolants de l’Italie d’après-guerre aux mœurs austères d’un couvent de dominicaines. Couvrez-vous bien : c’est ce qu’on appelle un coup de froid ! Mais il était nécessaire que je fasse pénitence après la série de péchés que je viens de commettre en ce lieu et que je retrouve la voie de la rédemption (c’est pas gagné).

Car c’est bien de cela qu’il s’agit dans le premier long-métrage de Robert Bresson : du parcours opposé de deux nonnes. La première, Anne-Marie (Renée Faure), quitte son milieu bourgeois et étriqué pour rejoindre le couvent et vivre sa vocation pleinement. Elle se pique de venir en aide à une jeune prisonnière, Thérèse, une des filles les plus dures de la prison que les sœurs visitent. A sa sortie, Thérèse n’attend pas une minute pour assouvir sa vengeance et tuer son ancien amant. Elle se réfugie alors au couvent en espérant échapper à la police…

 

Dialogues de Jean Giraudoux, scénario co-écrit par le dramaturge, Bresson et le Révérend Père Bruckberger ( !) : on se doute que Les anges du péché ne jouera pas la carte de la gaudriole ni même celle de la légèreté. Il sera question de Dieu, de la foi, de la rédemption et de la grâce. Il sera également question de morale : non pas cette morale exhibée ces temps-ci qui consiste à donner de la prison ferme à quelques naïfs écervelés qui jettent des projectiles sans faire de mal à personne mais qui n’ira sans doute jamais jusqu’à lever l’immunité de notre ancien président pour permettre une enquête sur ses malversations (ça, c’est la morale dans son sens le plus habituel et le plus tristement commun : la morale du pouvoir) ; mais cette morale qui consiste, en suivant les préceptes divins, à tenter de définir ce qu’est réellement le Bien et qui sait accorder le Pardon.

Je n’ai jamais caché ici mon athéisme borné mais je dois également reconnaître que j’ai beaucoup plus de respect et de sympathie pour cet Idéalisme religieux qui crache sur les vanités du monde (ce qui n’est évidemment pas le cas de la majorité des croyants et c’est pour cette raison que j’ai toujours préféré aux prêtres pansus les véritables ascètes) que pour les avortons célébrants la beauté du Progrès et de la modernité sous la bannière du « ni Marx, ni Jésus » en laissant crever les exclus au bord de la route (les pourritures du style Sorman Revel, Minc et consort…).  Sans avoir aucun goût pour les atermoiements de l’âme, les intérieurs de couvents (sauf peut-être lorsqu’ils sont filmés par Borowczyk ou par Norifumi Suzuki dans Le couvent de la bête sacrée, hé, hé) et les mystères de la foi ; je dois reconnaître que certaines scènes, très belles, des Anges du péché sont très troublantes et font venir les larmes aux yeux (le premier baiser, à la prison, d’Anne-Marie pour Thérèse). L’émotion vient en grande partie de l’interprétation de Renée Faure, entièrement habitée par son rôle et dont le visage dégage une luminosité quasiment surnaturelle. Elle irradie de Bonté comme certains rares individus sont capables de le faire et porte sa foi dans son sourire.

Les autres comédien(ne)s m’ont paru un peu moins convaincants, notamment Thérèse qui a tendance à déclamer comme à la Comédie-Française. De là, on en arrive au principal « défaut » du film : un côté théâtral qui a un peu mal vieilli. Evidemment, nous sommes à des coudées au-dessus de la médiocrité du cinéma français de l’époque (celui des Aurenche et Bost) mais pour son premier long-métrage, Bresson n’a pas encore trouvé totalement le style qui va le rendre célèbre. Sa mise en scène est sobre, dépouillée mais mis à part le sublime plan final, on ne trouve pas encore son sens de la stylisation que j’apprécie tant dans ses grands films (Pickpocket, Mouchette…) . On aimerait parfois entendre les sœurs avec les voix blanches qui caractériseront les « modèles » du cinéaste dans ses films ultérieurs.

 

Objectivement, Les anges du péché est un grand film mais cette quête de l’Absolu vous touchera sans doute plus que moi si vous adhérez à son propos et si vous ne craignez pas les saines rigueurs des couvents. Quand à moi, je reste partagé entre une admiration indéniable pour un grand cinéaste en train de naître et une certaine indifférence pour ce que le film met en scène.

Mea culpa…

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