Le cinéma au vomi
Les chansons d’amour (2007) de Christophe Honoré avec Louis Garrel, Ludivine Sagnier, Chiara Mastroianni, Clotilde Hesme, Brigitte Roüan, Grégoire Leprince-Ringuet
Avant d’entrer dans le vif du sujet, à savoir le quatrième film du toujours très honoré Christophe -quelques mois à peine après son lamentable Dans Paris-, permettez-moi de vous livrer quelques réflexions sur Jacques Demy, modèle avoué des Chansons d’amour.
Il me semble qu’avec le temps, Demy est devenu l’un des cinéastes les plus incompris qui soit, autant par ses détracteurs que par ses zélateurs.
En ce qui concerne les détracteurs, je n’épiloguerai pas bien longtemps : inutile de discuter avec des individus qui ont de la merde dans les yeux ! Plus embêtant est la manière dont il est célébré par ses admirateurs (à part Noël Godin et Serge Daney, je n’ai pas souvenir d’avoir lu beaucoup de textes pertinents à propos de Demy) qui n’en retiennent que le côté « en-chanté » (non sans une certaine connotation sirupeuse) et le côté kitsch (alors que ce cinéma ne l’est en aucun cas, ce que n’ont pas compris les pédés mondains qui s’en réclament !). Or Demy est avant tout l’un des plus grands cinéastes français de tous les temps, un cinéaste total capable de parler de son époque (rappelons que les parapluies de Cherbourg est l’un des rares films français à faire directement allusion à la guerre d’Algérie et que le sublime Une chambre en ville est sans doute le dernier film à avoir véritablement filmé collectivement la classe ouvrière. Par la suite viendra Guiraudie mais son regard sera différent) tout en réinventant à chaque fois son propre univers en repeignant les murs des villes pour faire « plus » cinéma (les demoiselles de Rochefort), en trouvant toujours la forme adéquate à ses rêves (qu’on se souvienne seulement, dans les parapluies de Cherbourg, de la scène du départ de Guy pour l’armée où c’est la caméra et le travelling arrière qui sépare le couple ou encore ce sublime travelling qui accompagne les amants vers la consommation de leur amour en donnant l’impression qu’ils glissent littéralement au-dessus du sol ; et l’on aura compris que Demy fut toujours un génial metteur en scène).
Tout ça pour dire qu’il me semble un peu irritant de comparer à cet immense artiste le premier pékin venu sous prétexte qu’il a agrémenté un quelconque mélo de chansons mièvres. Le cinéma de Demy est tout sauf sucré et mièvre, il ne nie pas la réalité : il la transcende par l’Art. Ses films sont joyeux mais néanmoins profondément mélancoliques et noirs.
Toutes ces dimensions ont disparu chez Honoré qui, à défaut de style, se donne un genre. Je ne devrais pas me plaindre : je savais à quoi m’attendre et ce que masquait grossièrement le chœur des louanges attendues de la critique française. Le pire, c’est que rien n’est venu contredire cette appréhension et je vous l’avoue sans honte : cette critique aurait très bien pu être écrite avant d’avoir vu le film.
C’est la même recette que Dans Paris : Honoré ingurgite les « classiques » de la Nouvelle Vague, que ce soit Demy (des figurants marins, clin d’œil à Lola et Les demoiselles de Rochefort aux passages chantés en passant par la construction en trois parties décalquées sur Les parapluies de Cherbourg : 1-le départ, 2-l’absence, 3-Le retour), Godard (les enseignes lumineuses qui traduisent visuellement la situation du héros, comme dans A bout de souffle), Truffaut (la lecture au lit comme dans ses films avec Léaud) et même Eustache (le trio amoureux de La maman et la putain) mais il n’en retient rien. Il n’a ni l’inventivité de Godard, ni la légèreté de Truffaut, ni la gravité d’Eustache alors il se contente de vomir son repas à l’écran et d’exhiber ses grumeaux mal digérés comme des signes de reconnaissance entre gens de bonne compagnie.
C’est du cinéma « clin d’œil », où l’on fait lire aux personnages des romans édités chez l’Olivier (éditeur, rappelons-le, d’Honoré écrivain), où l’on montre une couverture d’un livre d’Hervé Guibert pour bien faire comprendre au public que le lycéen est homosexuel et où l’on table sur la connivence d’un public choisi (cible visée : bobo parisien lecteur des Inrockuptibles et votant par conviction (rires !) pour Ségolène Royal !) qui se délectera des références comme il se délecte de petits fours à un congrès du PS.
Mais à part ça ? Quelques grimaces de Louis Garrel pour singer Léaud ne font pas un film léger. Une mort subite, coup de force du scénario, n’apporte pas forcément l’émotion recherchée. Et ce n’est pas avec quelques chansons phtisiques très « modes » (entre Biolay et le neurasthénique Murat pour les mecs et Keren Ann –en moins bien- ou Natacha Régnier époque Yann Tiersen pour les filles) qu’on parvient à égaler Demy.
Tout sonne faux dans ces Chansons d’amour : ces lycéens qui récitent Aragon dès le petit jour, cette pseudo manière de capter un « air du temps » qui n’existe que dans la tête d’Honoré et de ses petits bourgeois (à ce compte-là, il vaut largement mieux revoir Jeanne et le garçon formidable, le beau film de Ducastel et Martineau qui avait le mérite de réinscrire la filiation de Demy dans son époque).
Honoré se montre incapable de donner la moindre chair à ses personnages, de donner la moindre profondeur aux sentiments qu’il veut décrire (le désir est absent, la douleur très passagère et les passions ternes). Les comédiens ne sont pas en cause et sont plutôt très biens (mention spéciale à l’excellent Clotilde Hesme, déjà vu dans le magnifique dernier film de Garrel les amants réguliers).Sauf qu’Honoré ne les utilise que comme des pantins artificiels destinés à mimer les gestes des aînés (à tel point que nous sommes parfois gênés de voir Louis Garrel, très bon acteur, recopier exactement les gestes et mimiques de Jean-Pierre Léaud).
Il n’y a pas une once de cinéma dans les chansons d’amour mais une simple compilation de références mal digérées et régurgitées avec le doigt en l’air, le doigt du mondain branché qui se croit plus malin que les autres en bricolant son dépliant publicitaire à l’usage du prêt à penser critique contemporain…