Infernal affairs (2002) de Andrew Lau et Alan Mak avec Tony Leung, Andy Lau

 

La côte de ce petit thriller urbain « made in Hong Kong » n’a cessé de croître depuis que Martin Scorsese en a réalisé un brillant remake l’an dernier (les infiltrés). J’étais curieux de découvrir cette œuvre originelle qui met en scène deux adversaires qui ne se connaissent pas mais qui œuvrent tout deux comme « taupe ». L’un est un truand infiltré chez les flics tandis que l’autre est un flic parvenu à s’introduire dans le « milieu » pour y cueillir des renseignements…

Difficile d’évoquer ce film sans se prêter au petit jeu des comparaisons. Comparaisons qui s’imposent d’autant plus que Scorsese est resté très fidèle à l’original, au point de refaire certaines scènes à l’identique (la scène de l’ascenseur à la fin du film, par exemple) et de reprendre à son compte les inventions de Lau et Mak (même rôle des téléphones portables, mêmes rendez-vous perchés sur des toits, même scènes au cinéma ou chez la psychanalyste…). Pourtant, au risque de faire hurler les idolâtres du cinéma asiatique (dont je fais partie, d’ailleurs !), je dois avouer que les infiltrés me paraît un film plus abouti, avec plus de souffle et d’ampleur.

Ne nous méprenons pas : Infernal affairs est un polar rondement mené, souvent astucieux quant aux idées de mise en scène (cette manière d’insister sur des objets jouant comme le téléphone ou une enveloppe qui soudain fera éclater la vérité) et d’une efficacité jamais prise en défaut. C’est déjà beaucoup et loin de moi l’idée de me plaindre.

Mais ça reste un exercice de style, un film de série assez brillant mais qui ne fait que reproduire un certain maniérisme asiatique très en vogue et une sophistication formelle un brin convenue (disons que la première fois qu’on a vu ce type de film, c’est très bien mais après John Woo, Tsui Hark, Johnnie To et consorts, un sentiment de redite se fait sentir dans le cas présent).

Tous les clichés liés au polar chinois (de Hong Kong) sont dans Infernal affairs : personnages masculins aux allures d’icônes « pop » d’aujourd’hui, ambiances mafieuses et urbaines, « gunfights » et formalisme un brin chichiteux (arrêts sur image, cadrages alambiqués…). C’est très bien fait et malgré quelques moments confus, plutôt agréable à suivre mais cela ne va pas plus loin que le « programme » annoncé par le scénario et sa résolution. On sent qu’Andrew Lau et Alan Mak tentent d’introduire, sur la fin, le thème de l’identité et de l’angoisse, à l’heure où l’individu est réduit à un ensemble de données compressées dans des ordinateurs, de ne plus exister aux yeux du monde. Thème intéressant mais effleuré et non pas incarné comme y est parvenu John Woo dans Volte-face. 

Infernal affairs me semble davantage relever de la série B d’aujourd’hui. Ce n’est pas une critique mais Scorsese parviendra à transcender cette œuvre pour y greffer ses obsessions et livrer une véritable réflexion sur l’Amérique contemporaine (« nation de rats »). Quelques exemples au hasard : les seconds rôles. Inexistants chez Lau et Mak, ils apportent chez Scorsese un humour totalement absent d’Infernal affairs. Idem pour le personnage du « parrain » : insignifiant ici, il acquiert une force assez mémorable dans les infiltrés grâce à la composition de Nicholson.

Parlons maintenant des femmes. Scorsese a fait des deux potiches décoratives (le terme est un peu méchant pour ces deux somptueuses beautés) d’Infernal affairs un seul personnage féminin complexe et passionnant, objet d’enjeux nouveaux dans le cadre de la narration.

On pourrait multiplier les exemples : les infiltrés porte un regard sur une nation qui dépasse l’astuce du scénario. Infernal affairs se contente de cette trame narrative pour être un polar solide et captivant. C’est très bien mais ça ne va pas au-delà d’une série B assez maligne et un brin clinquante.

Tout cela dit sans aucun mépris…

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