Mélo à la sauce aigre
Les invasions barbares (2003) de Denys Arcand avec Rémy Girard, Marie-Josée Croze, Louise Portal, Marina Hands
Je n’en ai conservé presque aucun souvenir mais je me souviens néanmoins avoir assez aimé Le déclin de l’empire américain, chronique de mœurs assez verte et savoureuse du québécois Denys Arcand. Près de 20 ans après, il organise les retrouvailles de tous ses personnages et les fait se rencontrer au chevet de Rémy, professeur à l’université, ex-gauchiste libidineux. N’allez pas chercher plus loin que ce canevas simpliste qui contient déjà tout le film sur l’air de l’amitié plus forte que tout (Mes meilleurs copains de Poiré, c’était beaucoup plus réussi et plus drôle) et de la douleur du temps qui passe.
Sur fond de nostalgie soixante-huitarde et de conflits de générations (les jeunes sont tous des incultes, abrutis par les jeux vidéos), Arcand tire de sa manche les bonnes grosses ficelles du film de « maladie » qui lui permettront de soutirer aux spectateurs peu exigeants de bonnes grosses larmes de crocodiles.
Mais reprenons depuis le début.
Les invasions barbares commence vraiment très mal avec des personnages taillés à la hache et des oppositions aussi légères qu’un menu dans une brasserie alsacienne : d’un côté, le brave professeur libertaire, amoureux de la vie, des femmes, des livres et du bon vin (il a donc les seules qualités respectables sur cette planète !) ; de l’autre, un affreux jeune arriviste, capitaliste qui ne quitte jamais son téléphone portable et qui n’a jamais sans doute jamais ouvert un livre de sa vie, comme tout bon étudiant en école de commerce qui se respecte !
Et ça continuera de la sorte : les vieux évoquent avec plein de tendresse et de verve leurs souvenirs d’anciens combattants utopiques tandis que les jeunes se droguent (la fille de Louise Portal) ou sont d’affreux merdeux vénaux (les étudiants que Sébastien payent pour qu’ils rendent visite à son père à l’hôpital).
Si Arcand avait véritablement réalisé un film hargneux et anti-jeunes, le résultat aurait pu être intéressant (je pense, même si le film est dénué de rage, au délicieux Mon petit doigt m’a dit de Pascal Thomas qui prend sciemment parti pour les seniors contre leurs enfants). Mais le propos du cinéaste se révèlera beaucoup plus aigre et plus convenu avant d’être noyé dans une mélasse sentimentale conventionnelle.
Avant d’aborder tout cela, commençons par sauver ce qui peut-être sauvé. Pour moi, il n’y a pas grand-chose mais je reconnais que certains dialogues sont assez piquants (l’évocation haute en couleurs des derniers instants du président Félix Faure et la manière qu’ont les personnages de conjuguer à tous les modes et à tous les temps le verbe « pomper »). De plus, il est impossible de nier que tous les acteurs sont excellents, donnant d’ailleurs par la qualité de leur jeu des nuances à des personnages très caricaturaux.
Mais cela ne va pas plus loin. Cinématographiquement, c’est du téléfilm ; et ce n’est pas une photographie sépia (assez laide) et quelques mouvements à la louma au début du film qui parviendront à relever la platitude d’un découpage sans inspiration (des champs/contrechamps à la en veux-tu, en voilà !)
Mais le plus irritant dans ces Invasions barbares, c’est les procédés manipulateurs dont abuse Arcand. Le film se contente, en effet, de faire se succéder systématiquement une séquence plutôt légère et une autre plutôt grave qui, au bout du compte, n’aboutissent qu’à de gros bons vieux clichés du style « rien ne vaut la vie », « la vie est dure mais il faut la vivre à fond » et « comme le temps passe »
Je sais bien que le mélodrame repose sur des conventions : c’est pour cette raison qu’il faut pour les cinéastes qui se risquent au genre un parti pris esthétique fort. Lorsque Lars Von Trier fait Breaking the waves, il ose se confronter au ridicule et toute sa mise en scène, d’une incroyable générosité, est construite pour accompagner son héroïne magnifique (nous y reviendrons sans doute cet été). Arcand se contente de ficelles (le cancer, c’est sûr que ça fera pleurer Margot) et ne se risque à aucun point de vue si ce n’est à un catalogue de mesquineries qui se termine dans le plus mou des consensus sentimentalo-gluant (malgré leurs différences, tous les personnages se réconcilient).
Par certains aspects, l’aigreur de ce film qui se veut ironique est très déplaisante : le cinéaste raillant effectivement les effets les plus visibles du capitalisme mais présentant également les hôpitaux québécois d’une telle manière qu’on a l’impression de se retrouver en URSS (avec, bien entendu, la mainmise des syndicats qui protègent même les employés qui violent les patients !! Dantec aurait-il participé au scénario ?). De la même manière, il fustige le manque d’idéal des jeunes générations mais ses vieux utopistes font amende honorable de leurs rêves d’antan (voir l’exécrable passage avec la chinoise) et se rallient sans vergogne à la ligne bien-pensante des BHL/ Glucksmann.
Tout est de cet ordre : satire aigre où tout le monde est renvoyé dos-à-dos (voir les discours rageurs de la toujours diaphane et adorable Marina Hands contre la génération précédente qui a cru à l’amour libre et à la prédominance du désir) avant une réconciliation finale et familiale.
J’avoue avoir du mal à comprendre le succès qu’a pu obtenir ce film !