Johnny got his gun (1971) de Dalton Trumbo

 

LE MAITRE : Eh bien! Que vous arrive-t-il ? Que veulent dire ces yeux rougis ? C’est cet été meurtrier qui vous affecte autant ?

LES DEUX DISCIPLES : L’été meurtrier ?

LE MAITRE : Je fais allusion aux disparitions successives de Michel Serrault, d’Ingmar Bergman, d’Antonioni et même à celle d’Isidore Isou dont personne n’a parlée. Pourtant, le pape du lettrisme fut également cinéaste (voir ici)

LE DEUXIEME DISCIPLE : Non ! Non ! En fait, nous venons de revoir Johnny got his gun de Trumbo…

LE PREMIER DISCIPLE : Beau film, n’est-ce pas ?

LE MAITRE : Beau film d’écrivain, oui…

LE DEUXIEME DISCIPLE : Qu’entendez-vous par là ?

LE MAITRE : Bah, vous connaissez l’histoire autant que moi : Trumbo fut avant tout un grand scénariste à Hollywood (notamment pour Preminger et Kubrick) dont les activités politiques lui valurent la prison et l’exil aux sombres heures du Maccarthysme. Johnny got his gun, adaptation du roman pacifiste qu’il publia en 1939, reste sa seule réalisation pour le grand écran…

LE PREMIER DISCIPLE : Et vous pensez que ce film n’est pas « cinématographique » mais « littéraire ». Est-ce un véritable défaut ?

LE MAITRE : Je n’ai pas tout à fait dit ça. Mais il est vrai que Johnny got his gun est assez « littéraire » dans sa construction et sa narration. Cela peut nuire au film lorsque Trumbo a recours à des « trucs » un peu scolaires témoignant d’une certaine timidité quant aux possibilités du cinéma (la manière de souligner que nous sommes dans un monde onirique ou dans le passé de Johnny en ayant recours à la couleur alors que la réalité est noire et blanche). Mais cela peut également servir un film dont certains passages s’avèrent très subtils grâce à la finesse de l’écriture (je pense à la relation entre Johnny et son père à travers une histoire –très littéraire pour le coup- de canne à pêche)

LE DEUXIEME DISCIPLE : Ah oui ! C’est vraiment très beau…

LE PREMIER DISCIPLE : Personnellement, j’aime également beaucoup le premier flash-back qui se situe à la veille du départ de Johnny et qui coïncide avec sa première nuit d’amour avec sa fiancée…

LE MAITRE : La séquence est, effectivement, très jolie et, là encore, très « littéraire » : il faut vraiment être écrivain pour arriver à traduire avec force l’inquiétude et la timidité qui saisit les futurs amants. La force de Trumbo, c’est de parvenir à saisir le caractère fébrile de cet instant en images et de l’imprégner d’une forte mélancolie en donnant à voir aux spectateurs ce que Johnny est devenu par la suite…

LE DEUXIEME DISCIPLE : Oui, car le film est quand même mis en scène ! Ce n’est pas juste une mise en images d’un livre…

LE PREMIER DISCIPLE : Certains passages oniriques sont assez superbement filmés et évoquent la peinture inquiétante de Chirico…

LE MAITRE : Trumbo soigne son cadre et sait composer ses plans. Si sa matière première est littéraire, on sent que son film est pensé en termes cinématographiques…

LE DEUXIEME DISCIPLE : Et puis il ne faut pas oublier le message de Johnny got his gun ! A l’heure où les cow-boys de l’Empire sont allés ravager le Moyen-Orient, il n’est pas mauvais de se replonger dans cette œuvre radicalement anti-militariste…

LE MAITRE : « O Barbara, quelle connerie la guerre ! » C’est classique…

LE PREMIER DISCIPLE : Pardonnez-moi, maître, mais il me semble que le film vaut plus que ce simple vers. En filmant un jeune homme devenu un « monstre » (il ne reste du soldat que son tronc et son visage n’est plus qu’un trou), Trumbo parvient à traduire l’horreur même de la guerre dans le corps des individus. Il me semble que nous la sentons presque charnellement…

LE DEUXIEME DISCIPLE : Parfaitement. C’est d’autant plus fort que nous épousons le point de vue de la conscience de Johnny. Si son corps est détruit à jamais, sa tête fonctionne et Trumbo parvient à nous faire ressentir à quel point ce corps mutilé est devenu une prison…

LE MAITRE : Allez, je vous titille en jouant les blasés mais, dans le fond, je suis bien d’accord avec vous et je serais hypocrite de ne pas avouer avoir versé une petite larme lorsque l’angélique infirmière entre pour la première fois en contact avec Johnny en lui souhaitant « joyeux noël »

LE DEUXIEME DISCIPLE : Ou par le final assez bouleversant…

LE PREMIER DISCIPLE : Eh bien, voilà qui fait plaisir de nous voir tous, pour une fois, d’accord…

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