Traquée
Boarding gate (2007) d’Olivier Assayas avec Asia Argento, Michael Madsen, Kelly Lin
C’est devenu tellement agaçant de voir revenir le nom d’Olivier Assayas chaque mois sous la plume de Jean-Michel Frodon dans les Cahiers du cinéma que l’exercice de la descente en flamme m’apparaît aujourd’hui comme une salutaire catharsis. Pourtant, si je ne peux plus supporter ce statut de parangon de la modernité que le réalisateur représente désormais pour la critique officielle ; je dois avouer que c’est sans gaieté de cœur que je vais dire du mal de Boarding gate. Car, j’avoue sans honte qu’Assayas fut un cinéaste très important pour moi à une époque, lorsqu’il réalisait ses meilleurs films (l’eau froide, Irma Vep) et que ceux-ci avaient, en plus, le mérite de correspondre à des préoccupations de mon âge.
La suite m’a moins convaincu, le cinéaste naviguant désormais entre des exercices de style plus ou moins estimables (Demonlover, Clean) et des ratages en grandes pompes (les destinées sentimentales).
Une nouvelle vie : ce mot d’ordre qui fut autrefois le titre d’un de ses films (que j’aimais beaucoup mais que je n’ai pas revu depuis longtemps) pourrait également servir à résumer toute l’œuvre d’Assayas puisque ses personnages principaux (généralement une jeune femme) doivent soudain rompre avec leur vie antérieure et s’apprêter à affronter un monde hostile (dans l’eau froide, ce passage est bien évidemment celui de l’adolescence).
Boarding gate n’échappe pas à la règle : Sandra (la toujours divine Asia Argento) est amenée à commettre un geste qui fait basculer sa vie (ne déflorons pas trop l’intrigue, elle est déjà mince !) et se retrouve perdue à Hongkong après avoir précipitamment quittée la France…
Parcours initiatique d’une femme bien décidée à refaire sa vie, le film se veut également, dans la lignée de Demonlover, un thriller contemporain ouvert à la rumeur de notre monde d’aujourd’hui (les magouilles financières, les rachats de sociétés, les transactions plus ou moins légales…)
Le problème, c’est que rien ne fonctionne. Assayas a beau tenter de réaliser un thriller à l’asiatique (le voilà qui se prend pour Johnnie To ou Andrew Law !), Boarding gate tourne vite à l’exercice de style le plus gratuit. Ca pourrait être supportable si, à l’instar de Boulevard de la mort de Tarantino, Assayas s’appuyait sur les ficelles du cinéma de genre et en proposait une lecture personnelle mais il préfère avancer la carte du « cinéma d’auteur » en vidant le thriller de sa substance (le film est très pauvre en rebondissements) et en s’appuyant sur un scénario particulièrement lymphatique.
Les fans me diront que l’intérêt du film ne se situe pas ici et qu’il faut admirer la manière dont la mise en scène prend le pouls de notre époque et parle de la mondialisation. Certes ! Sauf que le cinéaste n’exhibe, à mon sens, que des signes ostentatoires de modernité : téléphones et ordinateurs portables, des personnages qui surfent sur Internet et suivent le cours de la bourse, une séquence dans une boite de nuit avec l’assourdissante techno mongoloïde de rigueur, une séquence dans un karaoké (Chine oblige !), un peu de drogue et de sexe SM… Bref, la modernité de Boarding gate se résume à un catalogue de clichés que véhicule depuis 10 ans (au moins !) le cinéma…
Chez Resnais ou Chabrol, le « décor » des films est intemporel et presque désuet mais les rapports décrits entre les êtres humains sont totalement contemporains et d’une rare lucidité. Chez Assayas, c’est l’inverse : tout se veut incroyablement « contemporain » (la vitesse de la mise en scène, les lumières de la ville, le décor high-tech des bureaux ou des appartements…) mais les rapports entre les personnages se résument à des adultères hors d’âge ou des petits jeux érotiques ringardissimes (très mal filmés, d’ailleurs !). Jamais nous ne saisissons les réelles motivations de Sandra ni ne nous identifions à ses sentiments.
Comme il n’a pas de personnages à filmer, Assayas se contente alors de brasser de l’air et sa mise en scène tourne dans le vide.
Difficile de nier la virtuosité du film (cette caméra sans arrêt en mouvement, l’énergie de ces perpétuels panoramiques filés et cette manière assez caractéristique de recadrer…) mais c’est exactement ce que j’appelais autrefois la « politique de la griffe » : Assayas a trouvé moins un style qu’une manière de filmer et nous la refourgue à chaque fois, quelque soit le sujet du film. C’est son fond de commerce ! Sa griffe…
C’est aussi la définition de l’exercice de style : pas forcément laid à regarder mais vide et vain…