La blessure (2004) de Nicolas Klotz

 

Alors que sort aujourd’hui La question humaine, le nouveau film de Nicolas Klotz, j’ai enfin pu découvrir ce cinéaste dont la presse cinéphile fait ses gorges chaudes depuis quelques temps. La blessure suit le quotidien d’un petit groupe d’immigrés clandestins à Paris, demandeurs d’asile congolais que l’administration française cherche à renvoyer directement dans leur pays.

La première partie du film est la plus « scénarisée ». Elle correspond à l’arrivée des réfugiés, à leur prise en charge musclée par la police française et leur rétention à l’aéroport de Roissy. C’est ensuite l’attente, l’impossibilité de communiquer avec les proches et les diverses vexations et humiliations que leur font subir la flicaille.

Une fois échappés du centre de détention administrative par la grâce d’un fonctionnaire du Ministère des Affaires Etrangères moins borné que ses collègues assermentés, nos immigrés se retrouvent à Paris dans un squat et vivotent dans la crainte d’être délogés et arrêtés tout en pratiquant des petits boulots de fortune…

C’est la partie la plus « documentaire » du film, celle où Klotz se contente de suivre ses personnages sans tenter d’amorcer des pistes narratives. La blessure se révèle être alors une chronique de la misère ordinaire de ces individus venus ici pour échapper à une mort certaine dans leur pays et que la France laisse misérablement s’enfoncer dans le dénuement le plus total.

Que Nicolas Klotz soit indigné de cet état de fait, c’est tout à son honneur et loin de moi l’idée de dénier à ce film son extrême générosité, sa compassion pour ces clandestins laissés-pour-compte. Mais la question qui vient immanquablement est : est-ce que les bons sentiments suffisent à faire un bon film ? Et au risque de me voir catégoriser du côté des sarkozistes (ça serait un comble !) et de la détestable engeance policière ; je répondrai non.

Sous ses oripeaux de film d’auteur dépouillé, la blessure est un film à thèse. Je me doute que le travail d’enquête préalable a du être énorme et je ne remets pas en question la valeur « documentaire » du film. Sauf qu’il me semble que Klotz utilise certaines données du Réel à seule fin d’illustrer sa thèse : la France n’est pas la terre d’accueil qu’elle se targue d’être.

La première partie est la plus didactique : on a l’impression de lire à chaque plan un avertissement pour le spectateur : « attention, droits de l’homme bafoués » ou « citoyenneté en danger ». Chaque séquence souligne lourdement la dureté du traitement infligé aux clandestins et la veulerie de ces fonctionnaires de police racistes et violents. Encore une fois, je ne dis pas que tout cela n’est pas vrai (j’ai été moi-même, et bien involontairement, témoin d’un contrôle de police auprès de deux jeunes qui ne faisaient strictement rien et je peux vous assurer que c’était du même tonneau : violence verbale, tutoiement de rigueur et arrestation arbitraire ! Rien de caricatural là-dedans) mais je reproche au cinéaste d’instrumentaliser le Réel afin d’illustrer sa thèse.

Une scène m’a paru significative. Au poste, une policière ordonne brutalement à deux femmes (dont Blandine) de se déshabiller. La première le fait hors champ mais quand vient le tour de Blandine, la caméra reste sur le personnage. Sauf que Klotz prend bien soin de placer l’agent de police devant son héroïne, histoire que le spectateur ne puisse pas voir cette femme en sous-vêtements. Détail insignifiant, me direz-vous, mais qui illustre parfaitement, à mon sens, l’ambiguïté du film. D’un côté, Klotz se veut le plus proche du Réel (les mots que nous entendons : « baisse ta culotte !…Tousse ! »), de l’autre, il nous le « cache » en protégeant ce corps à demi dénudé. Le Réel doit servir à illustrer sa thèse mais il ne s’agit jamais de se confronter frontalement au problème ; et, ironie du sort, c’est la police qui protège du regard du spectateur sa clandestine !

Klotz aurait du revoir les amants du pont-neuf de Carax et ces extraordinaires scènes « documentaires » du début, d’une incroyable crudité. Elles permettaient au cinéaste de payer son tribut au Réel pour offrir enfin une fiction à son couple de clodos. Klotz n’offre offre jamais cette possibilité de fiction. Lorsqu’il entame la deuxième partie de son film, il filme le quotidien dans sa banalité (les interminables trajets en RER, les combines et petits travaux des immigrés…) mais ne donne aucun accès vers la fiction à ses personnage, ni quelque chose qui pourrait les faire sortir de l’anonymat (parce qu’il ne s’agit pas de défendre des individus mais une Cause) et avoir une histoire.

Parfois, le cinéaste laisse certains de ses personnages monologuer longuement et raconter leur vie. Mais là encore, ce n’est pas le Réel qui advient mais des données documentaires qui donnent un surplus de poids aux thèses énoncées. Par exemple, lorsque arrive ce plan final sur une route qui défile, filmée depuis un camion ; on ne voit plus qu’elle et on n’entend absolument pas ce qu’énonce en voix-off un des réfugiés.

Klotz est trop malin pour réaliser directement un film à thèses à la Cayatte ou Boisset donc il se drape derrière des afféteries auteurisantes : plans interminables (le film dure 2h40 !), hommages appuyés à Bresson (on filme parfois l’action en se concentrant sur les jambes ou les bustes des protagonistes)… Mais derrière cette gratuité formelle (entre parenthèse, le cinéaste n’est pas dénué de talent et certains plans sont très beaux), ce sont les gros sabots du film didactique de gauche, bien-pensant à souhait (corollaire obligatoire : relisez les critiques délirantes qui ont salué ce film à sa sortie) et incapable d’offrir à ses personnages une fiction qui leur permettrait d’exister autrement que comme des marionnettes…

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