(Auto) portrait du cinéaste en clochard
Le prestige de la mort (2006) de et avec Luc Moullet et Bernadette Lafont
Sorti en catimini au début de l’été, le dernier film de l’ex-critique des Cahiers du cinéma Luc Moullet dresse un constat assez similaire au Metteur en scène de mariages de Bellocchio : pour avoir du succès aujourd’hui, mieux vaut être mort ! Venu hier soir présenter son film dans la salle art et essai locale, le facétieux metteur en scène expliqua à un public essentiellement lycéen que ses films avaient du succès mais qu’il fallait compter un délai de… 24 ans ! Fort de ce constat, Luc Moullet, le cinéaste « fictif » du Prestige de la mort décide d’employer les grands moyens pour réduire ce délai en empruntant l’identité d’un cadavre qu’il découvre en pleine montagne (diable ! un énarque qui plus est !) en espérant que l’annonce de sa mort permettra de redécouvrir son œuvre. Il espère ainsi pouvoir financer son projet de grand film britannique en costumes, adapté d’un roman de Thomas Hardy (dont on voit quelques images rêvées assez désopilantes).
Je n’avais vu jusqu’à présent que deux films de Moullet : le délicieux La comédie du travail et Parpaillon. Ce n’est pas beaucoup mais c’est un minimum pour comprendre ce que je vais écrire du Prestige de la mort, comédie burlesque totalement aberrante (au sens où l’on n’imagine pas qu’il soit encore possible qu’une telle pousse puisse germer sur le terreau ratiboisé et javellisé du cinéma français) et sur le cinéma à nulle autre comparable de cet hurluberlu. S’il fallait absolument trouver un voisinage lointain à ce franc-tireur iconoclaste, on pourrait à la limite citer certains films de Mocky avec qui Moullet partage le même sens de l’absurde. Mais la colère et l’hystérie propres au cinéma de Mocky ont laissé place à un flegme et une dérision piquante chez Moullet. Rien ne symbolise mieux Le prestige de la mort que la voix un peu traînante et disharmonieuse du cinéaste. C’est du burlesque nonchalant, souvent complètement débile mais regorgeant de petites notations drolatiques et de détails loufoques (la principale chaîne publique française devient France d’œufs et l’on voit le bureau de la directrice –la complice Bernadette Lafont- envahi par des coquetiers et autres bibelots de gallinacés).
Avec Mocky, Moullet partage également la même économie de cinéma (c’est une manière euphémique de dire que leurs films sont totalement fauchés !) et il est d’ailleurs beaucoup question d’économies dans Le prestige de la mort : le cinéaste imagine tourner ses extérieurs anglais dans les Alpes pour éviter les frais d’Eurostar, il fait jouer des figurants nus pour réduire les dépenses en costumes, etc.
Le film suit donc son petit bout de chemin sur les traces de son cinéaste qui doit faire face à toutes sortes de problèmes : ressembler au cadavre qu’il a trouvé pour endosser sa nouvelle identité (le voilà contraint aux « lunettes placebo » !), faire retrouver le corps du faux Luc Moullet mais pas trop vite car sa mort risque d’être éclipsée par celle de Jean-Luc Godard (on aimerait savoir ce que pense l’intéressé de cette farce macabre !) qui survient au même moment, éviter un maître chanteur (Bouvet) puis la police (qui le soupçonne désormais de meurtre)… Moullet déploie son sens de la comédie en jouant sur deux registres : les gags visuels à la Tati (mais un Tati sous tranquillisant !), à l’image de ces badauds qui se baladent en pleine montagne avec leurs parasols en guise de deltaplane (Moullet nous expliqua qu’il voulait des parapentistes mais que ces engins étaient interdits sur le site du tournage. Du coup, il a eu recours à un subterfuge visuel en utilisant ces parasols totalement insolites qui déconcertèrent beaucoup une jeune lycéenne de la salle !) ; et des gags plus « agressifs » où le cinéaste se moque, en vrac, du financement du cinéma français et des chaînes de télévision (la directrice abrutie qui confond Thomas Hardy et Henry James), de la police (totalement incompétente et stupide, du commissaire qui veut toucher sa retraite à l’inspecteur zélé hors du coup en passant par le brave nègre qui joue aux machines à sous pendant tout le film), des élites (Moullet a peur qu’une analyse génétique révèle qu’il n’a pas un cerveau d’énarque !)…
Le résultat est totalement foutraque, et l’interprétation assez hasardeuse (mais elle nous valut une remarque d’un spectateur qui donna lieu à un assez fabuleux développement de Moullet sur sa fameuse « politique des acteurs » qui valait à lui seul le déplacement) ajoute à l’impression de joyeux bordel.
Je ne suis pas sûr que ce film soit encore en salles, même à Paris. Je ne sais même pas s’il faut vous le conseiller tant le résultat ne ressemble à rien d’autre qu’à du Luc Moullet. Mais je dois aussi vous confier avoir pris un certain plaisir à découvrir ce Prestige de la mort (remake d’un film de Cecil B. de Mille, tout de même !) où Moullet se filme en cinéaste clochardisé, dernier mohican déphasé et témoin loufoque d’une époque révolue…