Eloge mesquin de la médiocrité
Le vélo de Ghislain Lambert (2000) de Philippe Harel avec Benoît Poelvoorde, José Garcia, Daniel Ceccaldi
Dès l’ouverture du film (la voix-off très médiatique d’Antoine de Caunes entreprenant de nous narrer les « exploits » d’un petit coureur cycliste anonyme), les choses sont fixées une fois pour toutes : plutôt que de s’intéresser à un « héros » ou, au moins, à un champion ; le cinéaste met en garde le spectateur contre la vanité de vouloir s’échapper à tout prix du troupeau… pardon, du peloton (n’y aurait-il pas là quelque chose d’anti-démocratique ?) et exalte la juste tempérance et la médiocrité où tout individu « moyen » est censé se reconnaître.
Une fois lancés ces enjeux populistes, Harel (parfaite incarnation de ce cinéma du « milieu » que j’appelais autrefois le « ventre mou » du cinéma français) déroule sans surprise sa petite comédie sans fièvre, ni exaltation.
Il retrouve ici Benoît Poelvoorde qu’il avait fait tourner dans le très mauvais Les randonneurs et José Garcia, personnage principal de son meilleur film : Extension du domaine de la lutte (Houellebecq oblige !). Grâce au grand comédien belge, on regarde le vélo de Ghislain Lambert jusqu’au bout. Certaines de ses réparties furibardes parviennent à faire mouche et l’on sourit parfois devant les démonstrations (habituelles mais on ne se lasse pas !) de son caractère irascible. A part Poelvoorde : le néant ! Même le jeu de José Garcia, que je considère comme l’un des tempéraments comiques français les plus forts, m’a paru moins convaincant cette fois et illustre parfaitement l’échec du film. En effet, le comédien prend ici un accent belge assez ridicule qu’il ne semble pas toujours tenir. C’est totalement artificiel et on le sent mal à l’aise. Le résultat montre assez bien qu’entre la chronique populiste vaguement nostalgique (nous sommes au début des années 70, au temps de l’ORTF et d’Eddie Merckx) et la franche comédie, Harel et Garcia ne sont pas parvenus à trouver un juste milieu.
Du coup, on est un peu gêné de contempler un spectacle qui fait l’éloge de la médiocrité non sans une certaine mesquinerie. On exalte le « peuple » comme entité a priori aimable (faut pas plaisanter ! On n’imagine pas le cinéaste « attaquer » frontalement son public comme a su si bien le faire Jean-Pierre Mocky : voir la différence entre ce film sportif mou du genou et cette charge carabinée contre la connerie humaine que reste A mort l’arbitre) mais on regarde chacun des personnages avec une certaine bassesse, accentuant leurs défauts sans chercher à leur donner plus de profondeur. Je ne suis pas en train de me transformer en père la morale imposant aux cinéastes d’être « gentils » avec leurs créatures mais il me semble qu’il faut un certain talent pour bien parler du « français (ou, en l’occurrence, du « belge) moyen ».
Blier y est parvenu parfois (ses paumés du petit matin dans Notre histoire ou Tenue de soirée), Joël Séria aussi (à ses débuts) : Philippe Harel se contente d’épingler de manière assez facile et plutôt mesquine un petit univers prêtant facilement le flanc à la caricature (les courses de vélos en province).
Plus grave : comme 99% des films « populaires » français, le réalisateur fait de la télévision, du téléfilm ! Sa mise en scène a presque autant de consistance qu’un article du Nouvel observateur : c’est mou, c’est plat, c’est indigent ! Alors imaginez la réaction de quelqu’un comme moi qui s’intéresse au cyclisme à peu près autant qu’au CAC 40 ! Ben oui, on trouve le temps très, très long (le film dure quand même près de deux heures !).
N’insistons pas plus longuement sur ce Vélo de Ghislain Lambert parce que j’aime vraiment les deux comédiens qui se partagent son affiche et que ce n’est pas non plus une honteuse bouse.
Juste un film « fast-food » de plus : aussitôt vu, aussitôt oublié !