Cinéphilie et paraphilie
Les mille et une nuits érotiques (1971) d’Anthony Dawson (alias Antonio Margheriti) avec Barbara Bouchet
Le cinéphile orthodoxe n’avait que l’embarras du choix hier soir. Jugez plutôt ce que proposaient les chaînes dont il dispose : Caché (un des meilleurs Haneke), Accords et désaccords (un bon cru de Woody Allen), Artistes et modèles (Tashlin+Jerry Lewis = régal), Le paltoquet (beaucoup aimé autrefois mais peur d’être très déçu en le revoyant) et Fenêtre sur cour (qu’on ne présente plus).
Et que croyez-vous que fit le malotru ? Il se posta sans vergogne devant les mille et une nuits érotiques, nanar italien du début des années 70. J’entends déjà le cœur de mes vertueuses lectrices outragées s’offusquer de la paraphilie du cinéphile qui le pousse à regarder n’importe quoi dans l’espoir d’apercevoir fugitivement quelques poitrines dévoilées ou l’ombre fugace d’un croupion. Que nenni, gentes dames ! Le cinéphile, dont la soif d’érudition ne s’étanche jamais, tenait avant tout, que cela soit dit, à poursuivre sa découverte de l’œuvre improbable d’Antonio Margheriti, poussant le zèle jusqu’à oublier les westerns poussifs du monsieur (Et le vent apporta la violence, vivace comme un sénateur dans la fleur de l’âge) ou ses abominables films horrifo-fantastiques des années 80 (comme Alien, la créature des abysses) dans l’espoir de retrouver la beauté noire de Danse macabre, très belle réussite avec Barbara Steele, notre muse à tous, qui fut également l’héroïne du Masque du démon de Mario Bava, cinéaste dont j’aimerai vous vanter l’immense talent et recommander chaleureusement Les trois visages de la peur, beau film que rééditent en ce moment les éditions Montparnasse, mais c’est une autre histoire que je vous conterais si je ne craignais d’abuser de votre patience avec la longueur de cette phrase que je me vois dans l’obligation expresse de conclure.
Voilà la chose faite ! Nous pouvons revenir à nos 1001 nuits…
Il y aura dans ces contes exotiques et paillards aussi peu de beauté que dans un traité constitutionnel européen mais le film aura le mérite, avec plus de 35 ans d’avance, de parler de la situation politique française actuelle ! Avouez que ce n’est pas rien !
Je ne délire absolument pas : jugez plutôt. Le grand sultan qui gouverne le royaume doit faire face à un peuple de plus en plus mécontent. Jamais à court de promesses électorales et de gestes démagogiques, il lance à la foule (des retraités ?) des pièces (des spécialistes m’ont certifié que cela représente à peu près l’équivalent de 200 euros par personne !) que des larbins gouvernementaux récupérons de toute façon plus tard, par d’autres moyens.
Fier de son prestige et de son pouvoir, il décide de convoler avec la plus belle courtisane du Royaume mais rien ne va comme il le souhaite. Les sondages, sa virilité : tout s’affaisse ! Pour lutter contre cette détumescence générale, il convoque les eunuques de son entourage (Saddam Attali) qui trouve la parade idéale : faire appel à des conteurs (dans le vocabulaire d’aujourd’hui, nous les appellerions des journalistes ou des intellectuels) qui, par leurs fables, devront lui redonner la vigueur adéquate pour satisfaire sa belle et rassurer le peuple. Comme tout individu moderne, ces bonimenteurs seront évalués et exécutés en cas d’échec (on notera néanmoins la barbarie de cette époque des mille et une nuits où les « supérieurs » seuls pouvaient juger leurs sujets et où les pauvres enfants chéris n’avaient même pas recours aux tribunaux pour pouvoir insulter librement leurs professeurs et prévenir les gifles ! On croit rêver !)
Le spectateur assiste alors à trois contes dont la teneur érotique ne dépasse guère celle d’une publicité pour déodorant et se dit que de telles histoires ne sont pas faites pour mettre en joie l’étalon qui sommeille en notre président sultan.
La chair est engageante comme un représentant en laxatifs et les coïts bien poussifs.
On me pardonnera de révéler la fin du film mais sachez que toutes ces histoires n’auront servi qu’à une chose : endormir le sultan ! Et pour une fois, le film est au diapason des sentiments du spectateur…
NB : Si ce film date de 1971, il est sorti sur les écrans français la même année que la version de Pasolini des Mille et unes nuits (1974). Même si ce dernier continue d’effaroucher les prudes spectatrices (j’en ai fait la pénible expérience en salle, où de jeunes étudiantes ont soupiré pendant plus de deux heures en prétendant vouloir quitter la séance sans malheureusement mettre leur menace à exécution), inutile de vous dire que c’est cette version qu’il faut voir en priorité ! Les autres sont très dispensables…