Real (2013) de Kiyoshi Kurosawa avec Takeru Sato, Haruka Ayase

 classe.jpg

Après le superbe Shokuzai qui relatait le parcours de quatre jeunes femmes traumatisées par l'assassinat de leur camarade lorsqu'elles étaient à l'école primaire, Real confirme avec panache le retour de Kiyoshi Kurosawa comme cinéaste de premier plan.

Cette fois, le thème du poids de la culpabilité est traité sous la forme d'une fable fantastique hantée par des fantômes et des spectres.

 

Atsumi, dessinatrice de manga, est dans le coma depuis un an après une tentative de suicide ratée. Koichi, son petit ami, participe à une expérience de « contact ». Relié à sa fiancée par des électrodes et un appareillage sophistiqué, il la rejoint dans son subconscient pour tenter de découvrir les raisons qui l'ont poussée à mettre fin à ses jours...

 

Real séduit immédiatement par son atmosphère cafardeuse : décors glaciaux, géométrie du cadre qui accentue la déshumanisation des lieux (longs couloirs blafards, hôpital...). Une fois de plus, le cinéaste utilise le genre fantastique pour traduire des angoisses existentielles. Il s'agit moins de jouer avec les terreurs du spectateur comme dans le beau Ring mais d'analyser un sentiment généralisé de perte de sens, de déréliction.

Notre camarade Vincent évoquait il y a peu, à propos du remake de Maniac de William Lustig, la pauvreté d'un cinéma fantastico-horrifique actuel incapable de mettre en images les peurs de l'époque et se contentant de recycler les recettes d'antan. C'est donc sans doute du côté d'un cinéma plus « indépendant » (aux États-Unis, le magnifique Take Shelter de Jeff Nichols) ou du cinéma de Kurosawa qu'il faut chercher les images les plus justes de ces peurs « contemporaines ».

Une des choses qui frappent le plus dans Real, c'est que Koichi et Atsumi vivent ensemble mais qu'ils sont seuls, prisonniers dans leurs « bulles » respectives. Le « contact » qu'ils établissent entre eux n'a rien de la sublime complicité des amants de Peter Ibbetson : il s'agit de retrouvailles distantes où chacun semble perdu avec ses souvenirs, ses traumatismes d'enfance, ses angoisses.

Une des belles idées du film est de montrer les quelques individus que croisent Koichi pendant ces phases de « contact » comme des espèces de pantins (ou « poupées de cire ») qu'un médecin qualifiera de « zombies philosophiques ». L'humanité est réduite ici à ces vagues présences à la fois distantes et un peu inquiétantes mais qui n'ont absolument aucune influence sur la conscience d'un individu. Face au mystère Atsumi, Koichi est seul. Il recherche un dessin de plésiosaure qui pourrait être une clé de l'énigme située dans l'enfance du couple (ils se sont connus sur une île où le père du jeune garçon était promoteur immobilier). Comme souvent chez Kurosawa, c'est une image manquante qui vient torturer la conscience de ses personnages. Et les fantômes qui apparaissent sont la matérialisation de cette absence d'image qui se double ici d'une figuration assez étonnante de la culpabilité du personnage sous la forme d'un monstre préhistorique.

Les passages entre le monde « réel » et le monde de la conscience des personnages sont assurés de manière subtile (nous ne sommes pas dans la mécanique grossière et puérile du nullissime Avatar) et le cinéaste se plaît à rendre les frontières poreuses, à faire surgir des images saisissantes au cœur de ce que nous croyons être « la réalité ».

L'intelligence de Kurosawa est de jouer sur de petits détails pour faire la distinction entre un univers « réel » et l'univers « mental » des personnages. Ce sont les murs de l'appartement conjugal qui s'effritent et menacent de s'effondrer, des pièces mystérieusement inondées (la beauté picturale de ces moments est impressionnante) ou encore un brouillard épais qui nimbe la ville et représente une sorte d'au-delà de la conscience. Le passage du conscient au domaine de l'inconscient est figuré de manière très simple (mais très belle) d'un changement de décor (du Tokyo déshumanisé à un paysage de nature luxuriante d'une île).

Sur cette île, on retrouve pourtant des paysages de ruines et de désolation. Le projet immobilier auquel participait le père de Koichi a échoué et si ces images peuvent traduire une des peurs contemporaines (le désastre écologique), le propos du cinéaste est davantage de montrer les champs de ruines d'une conscience tourmentée.

 

Si les thèmes qui parcourent Real sont assez récurrents dans l’œuvre de Kurosawa (la culpabilité, les angoisses existentielles, la solitude, l'incommunicabilité...), le cinéaste les traite ici avec un romantisme qui lui est peu coutumier. L'histoire de cet homme qui va tenter d'aller rechercher sa fiancée au « pays des morts » peut aussi se lire comme une variation autour du mythe d'Orphée et Eurydice. Je n'en dis pas plus pour ne pas déflorer une intrigue riche en rebondissements mais même si l’interprétation n'est pas toujours à la hauteur (le héros masculin est particulièrement fade), le cinéaste parvient à nous toucher et à apporter une petite touche de chaleur « amoureuse » à son univers toujours aussi glacial.

Une belle réussite, donc...

Retour à l'accueil