Stereo (1969) et Crimes of the future (1970) de David Cronenberg

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Attention, curiosités! On oublie souvent qu’avant d’avoir réalisé Frissons (Shivers), sa première œuvre majeure qui va le faire connaître, David Cronenberg a tourné deux courts-métrages (Transfer, For the drain) et pas mal de films pour la télévision canadienne. Il a aussi mis en scène les deux « longs » (1h02 chacun) métrages dont il va être question ici. 

Ces deux œuvres de jeunesse apparaissent aujourd’hui à l’amateur du cinéaste que je suis comme de véritables OVNI assez indescriptibles, ayant comme point commun de contenir en germe tous les thèmes que développera par la suite l’auteur de Videodrome.

Autre caractère commun : ces deux films ne comportent aucun dialogues. Stereo est une espèce de pastiche de documentaire scientifique où seule une voix-off vient commenter des images plutôt neutres. Crimes of the future reprend un peu le même principe sauf que le film est en couleurs et qu’à la voix-off s’ajoute un travail assez élaboré sur des bruitages abstraits et parfois horriblement stridents qui renforcent l’impression d’étrangeté de l’ensemble.

Difficile de résumer des films où il ne se passe strictement rien et qui dégagent pourtant une atmosphère étrange et parfois assez envoûtante. De la même manière, les images montrées semblent être d’une banalité toute contemporaine et nous sommes pourtant en pleine science-fiction.

Tourné au cœur de sa propre faculté désertée pendant l’été, Stereo se penche sur le cas de jeunes cobayes dans un institut étrange pratiquant des expériences sur la télépathie (la voix-off nous explique qu’on a retiré le larynx de certains patients pour qu’ils puissent développer plus sereinement ces capacités télépathiques).

Dans Crimes of the future, Adrian Tripod succède à Antoine Rouge à la tête d’une institution appelée «la maison de la peau », soignant de riches patients ayant des problèmes dermatologiques suite à l’usage de cosmétiques. Il s’avère qu’Antoine Rouge a succombé à une mystérieuse épidémie qui semble se propager au cœur de la maison…

Ne vous fiez pas à ces résumés : les films sont beaucoup plus obscurs que ça et font fi de toute narration classique. Les actions filmées demeurent assez sibyllines et les voix-off ne font rien pour arranger les choses dans la mesure où Cronenberg s’amuse à abuser (non sans un certain humour) d’un jargon philosophique et scientifique qui ne fait que brouiller les pistes.

Doit-on pour autant rejeter ces deux premiers long-métrages aux confins de l’expérimental en hurlant à la supercherie ? Bien sûr que non ! D’une part parce que Cronenberg témoigne déjà d’un vrai sens de la mise en scène. Si Crimes of the future, malgré quelques très beaux plans, semble parfois manquer un peu de rigueur ; Stereo est visuellement très beau, le cinéaste jouant à merveille des décors de l’université pour créer un univers froid et clinique (parfaite utilisation de la profondeur de champ, des longues lignes de fuites, des lignes de l’architecture du lieu) qui annonce avec deux décennies d’avance l’un de ses chefs-d’œuvre : Dead ringers (Faux-semblants).

D’autre part, comme je le disais plus haut, c’est avec un véritable plaisir qu’on assiste à la naissance d’une thématique qui ne cessera de venir hanter l’œuvre future du grand cinéaste canadien.

Stereo, avec ses expériences sur la télépathie et la manipulation de l’être humain annonce à la fois Scanners et Dead zone tandis que l’épidémie de Crimes of the futures apparaît comme les prémices de celle qu’on verra dans Shivers et Rabid (Rage). Cronenberg s’interroge déjà sur le devenir de l’être humain et de ses probables mutations à l’ère des avancées technologiques et cybernétiques (peut-on parler de films « cyberpunks » ?). Comme dans toutes ses œuvres suivantes, il nous offre ici des films fortement sexualisés (dans Stereo, l’utilisation de la télépathie tend à réduire l’inhibition des sujets et à leur faire rejeter les préjugés sociaux et moraux comme l’hétérosexualité et la monogamie tandis que dans Crimes of the future, l’épidémie semble d’origine vénérienne) où le psychique se mêle à l’organique pour donner d’étranges mutations (qui ne se traduisent pas encore « extérieurement » dans ces deux films dénués d’hémoglobine et d’effets spéciaux).

Le résultat est aussi improbable (les patients de Crimes of the future qui semblent communiquer par l’intermédiaire de leurs pieds) que passionnant, laissant entrevoir la personnalité unique d’un très, très grand cinéaste…

 

NB : Un grand merci à Gérard Courant pour m’avoir permis de découvrir ces films…

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