Vidéotopsie n°21 (Septembre 2018) de David Didelot

Bouquet final

Cela fait très longtemps que je songe à écrire un petit texte sur le renouveau des fanzines et je ne l’ai jamais fait. Faute de temps, de trouver un angle d’attaque suffisamment fort et puis les Cahiers du cinéma m’ont coupé l’herbe sous le pied en publiant il y a quelques années un bel article sur le sujet. Mais voilà que sort le dernier numéro de Vidéotopsie après 25 ans de bons et loyaux services (le premier numéro datant de 1993). David Didelot, son âme damnée bien connu des amateurs de cinéma bis pour ses deux excellents ouvrages (un sur la collection « Gore » du Fleuve Noir et un autre sur le cinéaste Bruno Mattei) et ses interventions particulièrement inspirées dans de nombreux suppléments de DVD, a décidé de mettre la clé sous le paillasson. Son dernier opus méritait donc bien quelques mots. En préambule, on voudra bien (j’espère !) me pardonner d’être à la fois juge et partie puisque j’ai signé quelques textes dans les derniers numéros du fanzine. De la même manière, David Didelot n’hésite pas, dans un magnifique texte rétrospectif, à donner quelques coups de griffes très justifiées contre la culture du « Je » à l’œuvre sur Internet et les réseaux sociaux et je ne vais pas échapper à cette tentation de « l’autobiographie » pour évoquer la belle aventure Vidéotopsie. D’où mes plates excuses. Mais si comme le dit joliment David « l’esprit qui souffle dans un fanzine, c’est souvent l’âme d’un seul mec, le ton original d’un seul gonz’, et ce même s’il s’entoure de plumes amicales et savantes… », le rapport que le lecteur peut avoir à ces publications de passionnés est souvent très intime et dit quelque chose de son parcours individuel.

Pour ma part, je n’ai jamais été lecteur de fanzines durant mes jeunes années de cinéphile. Pourtant, c’est amusant de constater que le parcours de David Didelot et le mien ont souvent des zones de convergence. Même si je suis un poil plus jeune (David a dû attaquer sa vie étudiante lorsque je rentrai au lycée), j’ai également dévoré de la pellicule fantastico-horrifique entre 15 et 18 ans. Habitant dans un petit village bien reculé, j’attendais avec impatience le vendredi soir (j’étais interne à Dijon) et le moment où nous nous arrêterions au vidéoclub du Mammouth du coin pour louer quelques VHS pour le week-end. De Street Trash et Ré-animator à l’Ascenseur et Hidden en passant par les Evil Dead, Vendredi 13 et la saga des Freddy, les Cronenberg, les Carpenter ; ces films que l’on n'appelait pas encore « de genre » m’ont accompagné au même titre que la lecture passionnée de Mad Movies (j’arrêtai mon abonnement quand la revue consacra les trois quart de son numéro à l’horrible Terminator 2). Petite anecdote amusante, c’est également à Dijon que David fit ses études et j’officie désormais dans le lycée où il a usé ses fonds de culotte ! Nous nous sommes donc peut-être, sans le savoir, déjà croisés.

Pour autant, je n’étais pas, à l’époque, féru de « bis », préférant Romero et Lynch aux bouchers charcutiers italiens des années 70/80 (je n’avais d’ailleurs pas vu leurs films à ce moment). C’est plus tard que j’ai appris à aimer les beautés dévastées de ces films faits avec des petits bouts de ficelle mais avec amour et un vrai respect du public populaire. Je me passionne d’ailleurs plus aujourd’hui pour les univers de Jean Rollin et Jess Franco que pour tous les remakes inutiles des grands classiques de l’horreur des années 70 (Aja compris !) et les effets-spéciaux numériques tapageurs (laissez-moi Tom Savini !).

L’univers du fanzine, je le découvre bien plus tard, grâce à Facebook. Comme David, j’ai à la fois en horreur ce réseau social aux allures de « tout à l’égo » et de « café du commerce mondialisé » où s’expriment avec la même vacuité les professionnels de l’indignation toujours prêts à monter sur leurs grands chevaux pour une blague anodine, les justiciers du Bien planqués derrière leurs écrans toujours partants pour un lynchage collectif pour une phrase mal comprise et sortie de son contexte mais également ceux qui en guise de « politiquement incorrect » étalent leur beauferie décomplexée et les idées les plus rances (exemple récent, cet imbécile de Marsault). Par ailleurs, Facebook est aussi un lieu magnifique qui permet de discuter avec des gens adorables partageant vos passions et permettant aussi de belles découvertes et de belles rencontres. Je pense que je n’aurais jamais pu écrire un livre sans ce réseau donc je ne vais pas cracher dans la soupe !

C’est donc par Facebook que j’ai pu découvrir l’univers des fanzines. C’est amusant car, en cinéphilie, on sait qu’on se dispute souvent entre chapelles et clochers. Il n’est pas rare d’entendre dire que les « fanzineux » sont sectaires, recroquevillés sur leurs trésors et hostiles à ceux qui osent parler autrement du cinéma qu’ils défendent. Pour ma part, je n’ai rencontré que des gens ouverts, généreux et curieux, qui ne m’ont jamais reproché de m’intéresser autant à Rohmer qu’à Romero, à Rivette qu’à Fulci, à Minnelli qu’à Russ Meyer !

Du coup, je décide de me rendre à Ciel Rouge, une petite librairie indépendante dijonnaise branchée science-fiction et fantastique (aussi bien en livres qu’en DVD) où j’acquiers mes premiers fanzines : deux numéro de Darkness de Christophe Triollet, le n°23 de Médusa de Didier Lefèvre et… le n°15 de Vidéotopsie. Outre le « professionnalisme » de ces publications (belles maquettes, sommaires copieux…), je suis frappé par la qualité de leurs contenus. Darkness, axé essentiellement sur la censure sous toutes ses formes, me passionne car à travers ces questions se dessine un panorama des limites évolutives que l’on (l’Etat, les institutions mais aussi l’opinion publique) peut assigner à la représentation. Je trouve le numéro de Médusa un peu « fourre-tout » mais je suis néanmoins impressionné par des dossiers assez incroyables et la plongée dans des continents totalement inconnus de la cinéphilie classique. Le travail de Didier Lefevre et de son équipe est colossal et les derniers numéros (je suis devenu un fidèle lecteur !) sont mieux structurés et tout aussi passionnants. Quant à Vidéotopsie, il repose sur un principe simple et extrêmement stimulant : se consacrer à un titre en particulier et le disséquer jusqu’à l’os pour en proposer une analyse la plus exhaustive possible. Inutile de dire que je ne connaissais pas Vicieuse et manuelle de Brunello Rondi (au sommaire de ce n°15) et que je suis fasciné par cette connaissance intime qu’a le taulier du zine de ces « itinéraires bis ». En outre, je suis captivé par le dossier sur l’actrice Annie Belle.

J’achèterai par la suite d’autres fanzines (Toutes les couleurs du bis de Stéphane Erbisti et ses maquettes élégantes, Cinétrange de Jérôme Spenlehauer) mais c’est surtout aux trois titres précédemment cités que je vais m’attacher.

Comme le souligne David Didelot, ces trois titres avaient cessé de paraître à l’aube des années 2000, comme si le fanzinat tirait sa révérence devant l’arrivée en force d’Internet, des bases de données et des sites spécialisés. Qu’une dizaine d’années plus tard, ils reviennent en force (Darkness sort désormais en version livre) est une bonne nouvelle puisque cela témoigne qu’il existe encore un vrai public désireux de collectionner et conserver des objets qui – a priori- ont toutes les chances de rester (à l’inverse des sites et blogs éphémères – je ne compte plus le nombre de textes que j’ai définitivement perdus à la fermeture de mon premier blog, de Kinok ou d’Interlignages).

Mais revenons au dernier numéro de Vidéotopsie puisque c’est l’objet de cette note. Disons-le tout net, c’est un festin de roi que David Didelot nous offre en guise de bouquet final. Plus de 200 pages où Augustin Meunier (également maquettiste pour l’occasion) parvient à m’intéresser à des sujets qui me concernent pourtant à peu près autant qu’un arrêté du code pénal (le manga, le hard rock) et Gilles Vannier m’a fait découvrir un cinéaste espagnol dont j’ignorais même l’existence (Antonio Isasi). On trouvera également un bon dossier sur Amando de Ossorio et de superbes entretiens avec le maître Umberto Lenzi et la géniale Lynn Lowry (son interview est vraiment parfaite !). Mais honneur au maître de cérémonie car il n’a pas hésité, pour ce dernier rendez-vous, à mettre la main à la patte. Depuis quelques temps, nous avions constaté que sa plume se faisait plus autobiographique, notamment dans le superbe texte introductif pour un numéro spécial Amityville (là encore, nos chemins se croisent puisque la diffusion télévisée de ce film m’avait fortement impressionné) et nous aurons droit ici à un texte rétrospectif, « 25 ans de Vidéotopsie », absolument enthousiasmant qui nous permet de saisir parfaitement l’esprit du fanzine et de son créateur.

On reconnaîtra en David un passionné d’une sincérité à toute épreuve, un amoureux fou de la pellicule cherchant à partager sa passion sans calculs ou désir de tirer la couverture à soi. La manière dont il associe ses collaborateurs à l’entreprise est une preuve à la fois d’humilité et d’une grande modestie (car l’âme de Vidéotopsie et sa cheville ouvrière, c’est bien lui !). Pour ma part, et même si j’espère que ce ne sera pas la dernière, je n’ai eu la chance de croiser David qu’une seule fois (justement à la librairie Ciel Rouge dont je parlais plus haut). C’est lui qui m’a présenté à Thierry Lopez des éditions Artus et qui m’a permis de relancer un projet en berne sur les éditions de la Brigandine. Depuis, David a toujours été un soutien constant et même lorsque les choses se sont un peu envenimées (vos lirez la rubrique « et pour quelques infos de plus » même si, à l’inverse de l’affaire Benalla, il s’agit vraiment -pour le coup- d’une « tempête dans un verre d’eau »), il a été le premier et le plus fervent de mes défenseurs. Comme dirait l’autre « un gars honnête, loyal et droit » et j’ajouterais volontiers « franc du collier ». Je n’aurai donc pas suffisamment de mots pour le remercier et je ne l’oublierai pas. Tout comme je n’en aurai pas assez pour le remercier d’avoir accueilli quelques-unes de mes modestes bafouilles dans ses pages.

Mais trêve d’épanchement : précipitez-vous sur ce dernier numéro de Vidéotopsie (j’oubliais de dire que l’hommage que rend David Didelot à Umberto Lenzi est parfait) car il est aussi enthousiasmant qu’émouvant. Une page se tourne et même si j’ai pris le train en fin de parcours, je dois dire que je m’étais bien habitué à ces livraisons annuelles du fanzine. David va nous manquer mais gageons que le démon de l’écriture ne l’abandonnera pas de sitôt et que nous aurons le plaisir de le relire rapidement sous d’autres cieux (peut-être un nouveau livre, espérons-le)…

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