Les belles hellènes
L’Insatiable n°1 (décembre 2019) de Jacques Spohr
Le continent du cinéma bis est tellement vaste qu’il est assez grisant de se dire qu’il reste toujours des territoires complètement en friche à découvrir. Pour une cinématographie relativement étudiée (les artisans du cinéma italien), combien de sous-genres pour le moment plus ou moins ignorés ? On attend avec impatience des ouvrages dédiés au « nudie » américain, aux films de catcheurs mexicains (gloire à Santo !), aux comédies érotiques bavaroises des années 70, au cinéma d’action philippin ou au cinéma Z de Turquie et du Nigéria. Et même si Didier Lefèvre a déjà effectué un beau travail de reconnaissance avec sa chronique « sirtabis » dans son indispensable Médusa, le cinéma bis grec reste très peu connu en nos francophones contrées.
C’est donc avec un grand plaisir que l’on voit débarquer un petit nouveau dans l’univers du fanzinat : L’Insatiable de Jacques Spohr, fin connaisseur du cinéma grec (y compris le moins « recommandable ») qui prêta d’ailleurs sa plume à Médusa le temps d’un mémorable article sur la Brigitte Bardot grecque : Gisela Dali. L’objet mérite le détour : une élégante maquette au format A5 d’une centaine de pages richement illustrées. Mais l’indéniable réussite de cet Insatiable réside surtout dans le bel équilibre que Jacques Spohr parvient à maintenir entre une véritable érudition (inutile de dire qu’à part deux ou trois noms, je ne connaissais absolument rien des sujets abordés) et un style très personnel qui fait le prix des meilleurs fanzines.
Le premier texte est à la fois un hommage au scénariste Giannis Tziotis mais également un passionnant retour sur ce qui a motivé l’auteur à se lancer dans l’aventure ô combien aléatoire du fanzine. Essentiellement dédié à l’érotisme hellène, Jacques Spohr nous propose ensuite un portrait de l’actrice Elena Nathanail et décortique le film Strange Girl in Love d’Omiros Efstratiadis, l’un des artisans les plus renommés de cet étonnant cinéma populaire grec qui parvint à éclore en dépit de la dictature des colonels (on pourrait d’ailleurs tenter un parallèle avec le cinéma bis espagnol qui devint de plus en plus osé alors que soufflaient les derniers feux du franquisme). Jacques Spohr a même récupéré du matériel publicitaire de l’époque et nous propose un fascinant résumé du film sous forme de roman-photo coquin.
Même si les films évoqués sont pour la plupart inaccessibles, l’approche de l’auteur est suffisamment claire pour qu’on puisse saisir de quoi il en retourne et pour donner envie de se plonger dans cette filmographie mystérieuse (l’étonnante expérience de To Peiramatozoo). Après être revenu sur l’incursion de Barbara Bouchet dans le cinéma grec, Jacques Spohr cède la place à Lucas Balbo qui nous propose un petit dossier sur Robert de Nesle et son Comptoir Français du Film Production, l’un des plus grands pourvoyeurs de séries Z (avec notamment quelques perles signées Jess Franco) des années 60/70. La comédienne Pamela Stanford nous offre un joli et amusant témoignage sur ce producteur.
Si on ajoute à ça une chronique signée du grand écrivain Alexandre Mathis, on aura compris que ce premier numéro de L’Insatiable est une parfaite réussite et qu’on attend avec impatience les suivants pour constater que le cinéma grec ne se réduit pas à Michel Cacoyannis, Nico Papatakis et Theo Angelopoulos.