L'odieux tout-puissant
Bruce tout-puissant (2003) de Tom Shadyac avec Jim Carrey, Jennifer Aniston, Morgan Freeman
Dans une vie antérieure (voir ici), nous consacrâmes une note à un abominable « bluastro » de Tom Shadyac intitulé Apparitions (avec Kevin Costner). Chose étonnante : ce film s’est déjà totalement effacé de mon esprit alors que sa découverte remonte seulement à trois mois.
Changement de registre ou plutôt retour au bercail avec Bruce tout-puissant puisque le cinéaste retrouve Jim Carrey qu’il avait fait tourner dans Ace Ventura (le premier du nom) et Menteur, menteur. J’en vois qui frissonne à l’évocation de ces fleurons. Que ça les rassure ou les désole, qu’ils sachent que nous restons dans les mêmes crus. Autant dire plus du côté de la bonne piquette de table style la Villageoise que du Chassagne-Montrachet ! Mais après tout, une bonne surprise n’est jamais inenvisageable, même au sein de la comédie pipi-caca américaine (voir ma récente découverte du très malin Sex academy).
Honnêtement, les farces de Tom Shadyac reposent sur des postulats souvent géniaux qui, avec l’appui d’un aussi bon comédien que Jim Carrey (je ne plaisante pas), pourraient donner lieu à d’excellentes comédies. Dans Menteur, menteur, l’acteur se voit soudain contraint de ne plus prononcer un seul mensonge. Idée lumineuse lorsqu’on imagine sa portée (une mise à nue de toutes les hypocrisies, de toutes les conventions sociales reposant sur le mensonge) qui ne donna lieu qu’à une seule scène désopilante (dans un ascenseur) et à un film débile et platement moralisateur.
Dans Bruce tout-puissant, un journaliste ambitieux en panne de réussite se voit confier les pleins pouvoirs par Dieu lui-même (Morgan Freeman). Puisqu’il a osé se plaindre que ses prières ne soient pas exaucées, qu’il se débrouille pour faire mieux ! Postulat délicieux puisque Jim Carrey en profite bien évidemment pour réaliser ses vœux les plus bassement matérialistes : faire se lever le vent au moment où il croise une fille en robe courte, avoir une grosse bagnole, une belle chemise et un boulot de présentateur. En deux temps , trois mouvements, voilà notre Bruce changé en gros beauf parvenu (il ne lui manque plus que les cheveux saturés de gel pour faire tenir de ridicules petits pics !) . Là encore, on rêve à ce que des cinéastes un peu imaginatifs et corrosifs (les Farrelly par exemple) auraient pu faire avec un tel sujet.
Mais Shadyac est un cinéaste épais, ringard avant l’heure. Au lieu de chercher à construire des situations amusantes et des gags, il mise tout sur les effets-spéciaux tel un vulgaire Jean-Marie Poiré. Devenu démiurge, voilà que Bruce attrape la lune au lasso et la rapproche de la planète pour créer une ambiance romantique un soir de noces où il fera monter sa fiancée au septième ciel (c’est officiel mes frères, Dieu est un bon coup ! les grandes mystiques en savent quelque chose !). Sauf qu’un effet numérique n’est jamais drôle en-soi et que cette exhibition de prouesses techniques (somme toute assez relatives) lasse très vite.
Ensuite, en bon puritain WASP, Shadyac nous inflige une dernière demie-heure dégoulinante de moralisme et de bons sentiments. Bruce se rend compte que Dieu a beaucoup de boulot et que s’il répondait à toutes les prières, ça serait l’anarchie (ben oui, vous n’imaginez pas qu’il puisse exister des gens heureux sans qu’autour d’eux il y ait un parterre de bougres et de malheureux !) . Alors faut pas en vouloir trop : il faut se résigner à sa petite vie de merde, aimer sa femme et sa patrie et être gentil avec tout le monde. Niveau : cours de catéchisme, cours élémentaire seconde année ! On patauge dans une marre de niaiseries sulpiciennes mais remises au goût de l’époque (Dieu est en chacun de nous ; le miracle, c’est toi !). C’est affligeant.
Reste Jim Carrey. Le talent de l’acteur est indéniable mais je n’arrive pas à être fixé totalement sur son cas. Génial lorsqu’il est dirigé par des cinéastes dignes de ce nom (Forman, Weir, les Farrelly), j’avoue avoir un peu plus de mal lorsqu’il est laissé en roue libre chez Shadyac.
Dans Bruce tout-puissant, ses grimaces et son cabotinage sont parfois étourdissants. D’autres, ils sont exaspérants. En tout cas, ils ne suffisent pas à hisser l’œuvre hors du purgatoire de médiocrité où elle est désormais condamnée à végéter…