La sainte famille
Les bijoux de famille (1974) de Jean-Claude Laureux avec Françoise Brion, Michel Fortin
Je suis incorrigible ! Cela fait maintenant à peine une semaine que j’ai endossé de nouveaux oripeaux et me suis octroyé sans vergogne le titre de disciple d’Hippocrate pour me donner un semblant de respectabilité et me voilà déjà en train de vous parler de cinéma érotique. Que vont penser de moi mes nouveaux lecteurs abordant ces pages sans a-priori ? J’aurais beau leur expliquer qu’au sein de ma discipline médicale, je me suis spécialisé dans l’anatomie (féminine, allez savoir pourquoi…) ; ma réputation est faite et jamais je ne pourrai rentrer à Valeurs actuelles. J’en ai déjà des insomnies !
Retour donc à nos bonnes vieilles polissonneries de ces douces années que furent les 70’. Au cœur de cette production, les bijoux de famille, unique réalisation de Jean-Claude Laureux bénéficie encore d’une certaine aura.
S’il n’est pas rare de voir des écrivains (de Malraux à Robbe-Grillet en passant par Duras, Giono, Pagnol), des dramaturges (Guitry), des acteurs (Eastwood, Al Pacino, Michel Blanc…), des « humoristes » (Bigard, les inconnus, Patrick Sébastien…), des critiques (la liste est trop longue et trop connue pour insister), des chefs-opérateurs (Yves Angelo, Bruno Nuytten, Raoul Coutard ) passer à la réalisation ; le cas de Laureux est inédit puisqu’il était et redeviendra après ce film ingénieur du son, notamment pour Louis Malle dont il s’amuse ici à parodier la plus célèbre scène des amants.
En passant derrière la caméra, notre homme semble beaucoup s’amuser à tâter de la fesse rigolote (et relativement « soft » mais je ne suis pas certain que nos chères chaînes câblées n’aient pas tailler dans le vif du film pour le rendre visible en « prime-time »). En 1974, sexe et subversion font encore bon ménage et Laureux nous offre une pétillante satire sociale en tirant à vue sur les us et coutumes d’une famille BCBG, très « vieille France » catho de droite.
Autour d’Hélène (Françoise Brion), respectable mère de famille qui vient de perdre son époux ; il y a un beau-père pas piqué des hannetons, vieille baderne pétainiste à la retraite rendant régulièrement visite aux pensionnaires d’une maison-close , un fils arriéré qui martyrise le chat et les insectes, une petite fille modèle à qui on a inculqué les poèmes d’André Chénier (éducation maurrassienne !), un jeune technocrate benêt, madeliniste avant l’heure et éperdument amoureux d’Hélène, un curé onctueux et un petit personnel irrespectueux (Marcel, le chauffeur priapique et Juliette la petite boniche rigolote).
Filmé avec un je-m’en-foutisme difficilement niable, le film dégage néanmoins l’agréable fumet libertaire de ces années là où la libération des mœurs allait de pair avec la libération sociale. Certains passages sont franchement amusants (le moment où, affublée d’un godemiché imposant, la jeune fille sage se livre à une savoureuse imitation de son grand-père) et une véritable bonne humeur plane sur ces bijoux de famille (la petite bonne, craquante à souhait et qui ne cesse de se marrer, a la joie communicative).
Après, il faut bien reconnaître que la satire ne va pas bien loin et fixe au contraire dans le marbre un certain nombre de clichés dont abusera le cinéma porno, comme celui de ces prolétaires testiculeux qui font se pâmer les grandes bourgeoises ou de ces innombrables femmes de ménage en porte-jarretelles sous leurs minijupes ! Nous nous éloignons dans ce cas considérablement de la lutte de classe pour rejoindre la pire des stratégies mercantiles où l’on offre à un public stigmatisé comme miséreux des fantasmes de pacotille où il peut assouvir son désir de domination et de puissance.
Un peu trop malin pour être réellement subversif, un peu foutraque et bancal ; ce film n’est pas antipathique et bénéficie, chose rare dans le genre, d’une interprétation tout à fait correcte. Nous ne ferons pas le tour de la distribution mais entonnerons néanmoins quelques stances à la fabuleuse Françoise Brion. Apparue au moment de la « nouvelle-vague »mais chez les cinéastes les plus discrets du mouvement (Doniol-Valcroze, Kast) , elle alternera tout au long de sa carrière des films louchant vers le Z (chez Jésus Franco) et des films d’auteurs confidentiels (l’immortelle de Robbe-Grillet). Dans les bijoux de famille, elle nous dévoile sans inhibition la splendeur de sa quarantaine rayonnante (loué soit son nom !). Elle est fantastiquement belle et sensuelle et , ce qui ne gâche rien, une excellente actrice.
Rien que pour elle, cette petite curiosité d’antiquaire mérite le coup d’œil…