La filiation impossible
Du sang dans la poussière (1974) de Richard Fleischer avec Lee Marvin, Ron Howard
Richard Fleischer nous a quittés il y a peu et les hommages rendus chez certains voisins internautes ont piqué ma curiosité. Je ne connaissais, en effet, que deux films de ce cinéaste (j’excepte les vikings que j’ai du voir tout jeune et dont je n’ai plus aucun souvenir) : le sympathique Voyage fantastique et son film de science-fiction catastrophiste Soleil vert.
C’est donc avec intérêt que j’ai décidé de regarder son western tardif Du sang dans la poussière.
C’est sur l’image d’un homme vieillissant et quasiment mort (Lee Marvin, alias Mr Spikes) que s’ouvre le film. Lorsque Fleischer tourne Du sang dans la poussière, le genre a perdu son innocence depuis fort longtemps et a été démystifié par Léone et les ténors du western italien. Il n’est désormais pratiquement plus rien d’autre que ce quasi-cadavre que découvrent trois jeunes gens plutôt naïfs (parmi eux, les amateurs de curiosité reconnaîtront Ron Howard, jeune héros de la série télévisée ringarde Happy days et futur réalisateur de navets pachydermiques : Willow, Apollo 13, Da Vinci code…).
En rupture de ban avec la société et leurs familles (le premier qui se décide à prendre la route est celui qui se fait violemment battre par son père), nos trois puceaux vont tenter de réussir leur propre conquête de l’Ouest en imitant ce détrousseur de banques qu’est Spikes.
Sauf qu’ils vont vite déchanter et réaliser que cet Ouest mythique n’est plus celui des pionniers. Ils sont d’abord tiraillés par la faim (ce qui donne à Fleischer l’occasion de tourner une scène iconoclaste assez amusante où nos larrons se régalent d’hosties et de vin de messe pour se rassasier !) puis confrontés à l’hostilité générale des individus qu’ils croisent sur leur chemin. Le cinéaste montre assez bien la frilosité des petites bourgades américaines où « l’étranger » est vu avec méfiance et où l’on rejette les « vagabonds ».
Sans adopter les partis pris esthétiques flamboyants d’un Léone ou d’un Peckinpah (la mise en scène est d’un parfait classicisme), Fleischer parvient pourtant à donner une image assez désabusée de l’Ouest américain.
Nos trois jeunes paumés sont confrontés à une violence qui les dépasse et se choisissent par la suite un « père » de substitution en la personne de Spikes (Lee Marvin, impassible comme jamais). Ils réalisent cependant que l’indépendance et les grands espaces dont ils rêvaient s’acquièrent au prix d’une lutte perpétuelle pour leur propre survie. Un hold-up n’est pas un dîner de gala et lorsqu’il réussit, c’est souvent en échange de sang versé et de morts violentes.
Du sang dans la poussière est un film sans aucune illusion, étrangement noir. Même l’idée de filiation ne semble plus opérante et toutes les valeurs sur lesquelles le récit semblait s’enclencher (l’entraide, la reconnaissance…) s’écroulent sous le poids des trahisons, de l’égoïsme et de la volonté de sauver sa propre peau.
Spikes ne sera jamais le père remplaçant ceux qu’ont voulu quitter les trois jeunes bandits. S’il se montre d’abord secourable, c’est pour ensuite leur montrer que rien ne compte sinon sa propre survie. La solidarité qui unit les trois jeunes garçons (certains verront sans doute là une certaine ambiguïté car ces petits gars semblent outrageusement indifférents aux femmes –malheureusement totalement absentes du film- et lorsqu’ils se retrouvent à deux, c’est pour faire des projets de vie commune comme un véritable petit couple !) ne tiendra pas le coup face à la dureté d’un univers régi par l’égoïsme et la violence individuelle.
Du sang dans la poussière, c’est en quelque sorte l’histoire de trois orphelins jetés sans filet dans le vaste monde et qui échoueront à retrouver un père de substitution.
L’Amérique des pères est bel et bien morte !