Les classiques de l'avant-garde
Une fois n’est pas coutume, nous n’allons pas parler d’un film en particulier mais d’un programme de courts-métrages expérimentaux (des années 20/30) et de La souriante Madame Beudet (1922), moyen métrage d’ « avant-garde » de Germaine Dulac. C’est Arte qui nous a offert ces films et cette heureuse initiative mérite d’être saluée car le cinéma expérimental n’a aucun droit de cité à la télévision (ni d’ailleurs sur grand écran pour quiconque n’est pas parisien !) et c’est scandaleux. Je ne comprends pas que l’on puisse se dire cinéphile et ne pas être attiré par les expériences les plus extrêmes. L’art, c’est aussi nous conduire vers les limites et je pense qu’au même titre que le cinéma de kung-fu, les comédies franchouillardes des années 80, les films d’horreur italiens et espagnols des années 70, les films pornos…, le cinéma expérimental doit exciter la curiosité du cinéphile. Il fut un temps où la salle d’art et d’essai de ma ville tenta de consacrer quelques soirées (trois dans l’année) au cinéma expérimental. Quelque fois, le choc fut rude ; mais j’ai pu y découvrir aussi de véritables petites perles signées Len Lye, Norman McLaren, Isidore Isou, Maurice Lemaître ou Marcel Hanoun.
Hier, nous avons du nous contenter de grands « classiques » signés Hans Richter, Oskar Fischinger et Walther Ruttmann. Tout trois ont des formations de peintre ou de musicien et ont fréquenté l’avant-garde artistique de l’époque. Richter, par exemple, est une grande figure du mouvement Dada. De leurs expériences, les trois artistes tirent leur singularité : Fischinger et Ruttmann ont une approche plus « musicale » du cinéma alors que Richter l’aborde de manière picturale.
Dans Etude n°7 et Composition en bleu, Fischinger illustre avec des formes géométriques des morceaux musicaux. Au son d’une symphonie de Brahms (celle que Chaplin écoute à la radio dans Le dictateur lorsqu’il fait la barbe à ses clients), les formes d’Etude n°7 semblent s’allonger et s’emballer au rythme de la musique. A partir de formes blanches sur un fond noir, Fischinger réalise un film hypnotique et emploie le même procédé dans Composition en bleu, sauf que le ballet de formes est cette fois colorisée et donne lieu à un feu d’artifices très beau.
Spiritual constructions du même Fischinger relève déjà plus du cinéma d’animation : des personnages et des décors en ombres chinoises ne cessent de se métamorphoser et de former, là encore, un ballet de formes abstraites. C’est très réussi. Fischinger continuera d’ailleurs dans la voie de l’animation. Exilé aux Etats-Unis au moment de la guerre, il participera à l’aventure de Fantasia. Sauf que la séquence qu’il réalisa sera jugée « trop abstraite » et sera retouchée. Sans commentaire.
Des trois cinéastes, Walther Ruttmann fut celui qui tourna le plus mal puisqu’il adhéra à la cause nazie et fut tué sur le front russe en 1941 alors qu’il tournait des actualités. Le nom de Ruttmann restera surtout pour les documentaires qu’il tourna sous l’influence de Dziga Vertov (Berlin, symphonie d’une grande ville). Dans La symphonie filmée, il livre lui aussi un ballet de formes qui semble vivre en suivant la musique. Volutes lumineuses mauves, cercles bleus ; Ruttmann travaille surtout les questions de rythme, de luminosité et de couleur. Un poil trop long, ce film est également très beau et assez hypnotique. Certains passages rappellent les toiles les plus abstraites de Mirò.
Comme ses compères dadaïstes Marcel Duchamp et Man Ray, Hans Richter a tout de suite été intéressé par les potentialités de cet art nouveau qu’était alors le cinéma. Comme Fischinger et Ruttmann, il a réalisé des films totalement abstraits comme ce Rythmes 21 (de 1921), composé uniquement de formes géométriques noires et blanches. On pense aux recherches de Malevitch sur le suprématisme. Sauf que le mouvement donne une vigueur que n’ont pas forcément certaines toiles abstraites. Ici, un rectangle noir qui s’élargit sur un fond blanc donne le sentiment d’un passage vers un ailleurs et cet agencement de formes en mouvement finit également par fasciner. Dans Etude cinématographique (là encore, un jeu sur les formes circulaires avec notamment de nombreuses images d’yeux) et Fantômes du matin, Richter a recours à des images filmées. Ce dernier film ne manque d’ailleurs pas d’un charmant humour surréaliste puisque le cinéaste s’amuse avec tous les trucages cinématographiques possibles : les chapeaux melons volent au-dessus du jardin, un service à thé se brise et se reconstruit (jeu avec le ralenti et le retour en arrière), un nœud papillon se défait tout seul et quatre hommes peuvent sans problème se cacher derrière un poteau tout fin… Même en ayant recours à la figuration, c’est les questions de rythme qui préoccupent Richter qui explore ici toutes les possibilités visuelles du cinéma.
Le gros morceau de la soirée devait être la souriante Madame Beudet de Germaine Dulac, cinéaste célèbre pour avoir fait scandale aux Ursulines avec son film La coquille et le clergyman (avec Antonin Artaud ) . Grâce à ce film, Dulac a obtenu sa réputation de cinéaste d’ « avant-garde ». Or la souriante Madame Beudet ne relève absolument pas de cette catégorie mais plutôt du « film d’Art » qui fut l’une des inventions les plus funestes pour le cinéma français. En effet, c’est avec la naissance de ce « film d’Art » (1908 : l’assassinat du duc de Guise) que les bourgeois tente d’extraire le cinéma de ses origines populaires et foraines pour lui donner ses lettres de noblesse en le faisant traiter de « grands sujets » et en le ramenant du côté du théâtre et de la Culture.
Ici, Dulac combine tous les tics de ce cinéma là : théâtre bourgeois (les atermoiements d’une femme mal-mariée), la lourdeur psychologique, le goût pour le grand sujet (la condition féminine). Vous ne pouvez pas vous imaginer à quel point c’est pesant : les sous-titres viennent surligner ce que l’image n’aura plus qu’à illustrer et les quelques « recherches » formelles (en fait, des transparences) sont également annoncées lourdement (attention, ceci est un rêve !). J’ai ressenti le même type d’ennui que face au pensum de Marcel L’Herbier l’inhumaine, autre exemple de ce cinéma d’Art hautement Kulturel !
Après une série de courts-métrages vifs, insolents et iconoclastes ; on aurait préféré qu’Arte nous propose Un chien Andalou ou les films de Man Ray plutôt que ce monument de ringardise bourgeoise !