Le village damné
Dagon (2001) de Stuart Gordon avec Francisco Rabal
« Stuart Gordon n’a fait que des mauvais films. Une preuve irréfutable ? Fortress avec Christophe Lambert ». Voilà ce qu’ose écrire sans vergogne un pigiste anonyme de Télérama. Inutile de préciser que le folliculaire n’a jamais dû voir un seul film de Gordon sinon il se souviendrait que ce cinéaste attachant a réussi deux jolies adaptations de Lovecraft (From beyond et le délirant Ré-animator, indiscutable date dans l’histoire du cinéma gore) et une très honorable série B horrifique (Dolls). La suite est, certes, moins reluisante : Fortress est effectivement un effroyable navet et Castle freak, malgré la présence du couple vedette de Ré-animator, n’a rien d’inoubliable. Mais c’est faire preuve de malhonnêteté intellectuelle que de mépriser complètement le travail de cet artisan compétent et honnête.
N’ayant pas vu de film d’horreur depuis un bail, je me suis décidé à jeter un œil à cette nouvelle adaptation de Lovecraft tournée par Gordon grâce à des capitaux espagnols et la complicité de son pote Brian Yuzna, réalisateur de l’excellent Society et de la médiocre suite de Ré-animator.
Au large des côtes espagnoles, deux couples sur un bateau se font surprendre par une tempête. Tandis qu’une femme est blessée à bord, les deux jeunes tourtereaux foncent au village pour chercher de l’aide. Sur place, ils croisent des gens bizarres (le curé a les mains palmées) et vont bientôt se retrouver seuls face à une armée de monstres (mi-hommes, mi-créatures aquatiques) adorant le Dieu Dagon…
Si l’on sait gré, dans un premier temps, au réalisateur de jouer à fond la carte du genre (néons glauques grésillant dans une nuit pluvieuse, hôtel borgne aux chambres sordides…) ; il faut bien reconnaître que passées les 20 premières minutes, c’est une catastrophe totale. Le film ne développe aucune idée ni progression dramatique mais se contente de suivre la course-poursuite d’un jeune con (l’acteur principal, ersatz pleurnichard de Jeffrey Combs, est inexpressif à souhait) et d’une série de monstres gluants à ses trousses. On frise souvent la parodie involontaire (souvenez-vous de la première séquence du film des Nuls, la cité de la peur). Quelques séquences gore bien répugnantes (F.Rabal se faisant dépiauter le visage !), une scène où l’héroïne nue et scarifiée est offerte en sacrifice au monstre marin et un final d’un inhabituel pessimisme tentent de titiller notre intérêt mais cela ne suffit pas. Le film est dénué d’idées de cinéma (et ne possède même pas le charme des mises en scène bricolées de la série Z) et les personnages existent autant que nos « débouchoirs à ventouses parlementaires » [N.Godin].
Le pire dans Dagon, ce sont sans doute les effets spéciaux. Je n’ai jamais lu (c’est un tort mais c’est comme ça) de romans de Lovecraft mais il me semble (c’est la réputation qu’il a) que l’auteur met en scène une horreur indicible, quelque chose d’innommable et donc d’irreprésentable. En voulant absolument filmer des monstres concrets et visibles, Gordon ne provoque ni surprise ni effroi. De plus, il a recourt aux effets numériques et, de mémoire de cinéphile, je ne crois pas avoir vu de choses plus laides que ces effets-spéciaux auxquels on ne croit pas une seconde. L’espèce de grosse gélatine rougeâtre et informe de From Beyond était beaucoup plus convaincante que ces monstres tentaculaires mal foutus.
Le résultat est donc d’un inintérêt total et on le regrette amèrement parce que Gordon est l’un des derniers à croire en un cinéma d’horreur « sérieux » et à jouer sincèrement la carte d’un cinéma de genre populaire. Cette fois, il s’est planté et nous espérons qu’il ne s’agit là que d’un faux pas…