Nausicaä de la vallée du vent (1984) d’Hayao Miyazaki

 

 

 

Il arrive parfois, chose rare, que l’industrie vole au secours de l’art. Difficile en effet de penser que la distribution des anciens films de Miyazaki est une manœuvre totalement désintéressée, uniquement soucieuse de faire connaître au plus grand nombre l’œuvre du meilleur cinéaste d’animation au monde. Le succès du Voyage de Chihiro et du Château ambulant a seulement montré qu’il existait une alternative au duel Pixar/Disney et un moyen de faire de l’argent en puisant dans le filon. Qu’importe ! même s’il y a derrière de bas appétits commerciaux, nul ne songerait à se plaindre d’avoir pu découvrir ces dernières années Laputa, le château dans le ciel, Kiki la petite sorcière, Pompoko (de Takahata) et aujourd’hui Nausicaä, le film que Miyazaki a adapté de son propre manga et dont le succès a permis la création des studios Ghibli.

 

 

 

Voir un film de Miyazaki, c’est toujours plonger dans un univers unique, à la fois familier et merveilleux ; un monde magique qui sait conserver une grande part d’enfance tout en ne fermant pas les yeux sur la dureté et la folie d’un monde courant à sa perte. Je dois avouer que, dans un premier temps, j’ai eu un peu de mal à entrer dans l’univers de Nausicaä. Outre la mauvaise surprise de constater que le film était doublé, je trouve que les scènes d’exposition ne sont pas terribles. Je ne parle évidemment pas du dessin et de l’animation qui sont splendides (sans atteindre néanmoins la splendeur de Chihiro et du Château ambulant) mais de la manière qu’a le cinéaste de faire soliloquer seule sa jeune héroïne pour expliquer assez grossièrement les enjeux du récit.

Nausicaä est la princesse de la vallée du vent, un petit royaume en bord de mer épargné jusqu’alors par le terrible désastre qui a ravagé la terre mille ans plus tôt. La  civilisation industrielle a disparu et ne reste plus qu’une immense forêt toxique,  peuplée d’insectes géants, qui ne cesse de gagner du terrain.

 

 

 

Passées les dix premières minutes un peu laborieuses du début, le film s’avère vite fascinant tant par sa richesse narrative que par la beauté de son trait. Déjà apparaissent en germe toutes les obsessions et thèmes que le cinéaste ne va cesser de développer dans ses films suivants. En schématisant, Nausicaä est bâti autour de deux axes principaux : la hantise de la guerre et la manière dont les hommes mettent eux-même leur survie en péril en s’attaquant à la nature et en provoquant des désastres écologiques.

Il me semble me souvenir que le père de Miyazaki a été aviateur pendant la seconde guerre mondiale (ce qui lui inspirera Porco rosso, que je n’ai toujours pas vu). Le traumatisme de cette guerre parcourt le film où c’est moins la forêt toxique qui menace la vallée du vent que les instincts de conquêtes et la cupidité des royaumes voisins. Je n’entre pas dans les détails du scénario (je vous laisse découvrir les méandres d’un récit dense mais jamais embrouillé) mais il est notamment question d’une cruelle souveraine qui, sous couvert de vaincre les insectes de la forêt (les Ohmus, grosses larves géantes pourvues de nombreux yeux qui changent de couleur selon leur humeur) veut recourir à un « guerrier géant ». Il s’avère que ce sont ces guerriers, désormais objet de convoitise des royaumes, qui ont mis à feu et à sang la planète un millénaire auparavant. L’image est limpide : ces guerriers représentent la menace nucléaire qui risque de ravager la terre.

Le propos pourrait relever d’un pacifisme un peu primaire (et puis merde aux cyniques, vive ce pacifisme « primaire » !) si Miyazaki ne nous proposait pas des images assez stupéfiantes et assez dantesques de ces moments où la folie des hommes s’exerce librement au cours de la guerre. La forêt toxique, « terreau tiède gras et fétide, où poussent des fleurs d’or malsaines et splendides » comme dirait Jules Laforgue, donne lieu à des plans d’une beauté oppressante assez époustouflantes.

 

 

 

L’autre axe du film, c’est celui de la fable écologiste. Là encore, le cinéaste frôle parfois une certaine naïveté en présentant la nature comme une « mère nourricière » qui ne demande qu’à être l’  « amie » des hommes (à l’instar de Nausicaä, capable de sympathiser même avec des insectes gluants). Mais le propos du film va plus loin et on y retrouve cette foi animiste qui est la caractéristique du cinéma de Miyazaki. Sa forêt est une image emblématique de sa cosmogonie individuelle où chaque être vivant, que ce soient les arbres, les animaux ou les humains, représente l’esprit d’une divinité qu’il faut respecter.

Il est tant de louer une fois de plus le génie du cinéaste pour animer cet univers foisonnant et lui donner sa cohérence.

 

 

 

Une fois encore, la réussite du cinéaste est complète et je défie quiconque, même si les effets sont un peu faciles, de ne pas être ému aux larmes par la fin de ce conte qui parvient à mettre en garde contre les dangers que l’homme fait courir à la planète tout en préservant une part d’enfance, celle-la même qui sait si bien se lover au cœur du merveilleux où le rêve d’une harmonie est encore plausible…

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