Le charme (de plus en plus) discret de la bourgeoisie
Je pense à vous (2006) de Pascal Bonitzer avec Edouard Baer, Géraldine Pailhas, Marina de Van, Charles Berling, Hippolyte Girardot
Deux sentiments contradictoires m’animaient lorsque je me suis rendu en salle pour découvrir le nouveau film de Pascal Bonitzer. Du côté des ondes positives, le souvenir des trois films précédents du cinéaste, pas inoubliables (la preuve, ils me sont totalement sortis de l’esprit) mais plutôt plaisants, pas mal écrits et interprétés par de bons comédiens (Berroyer dans Encore, Lucchini dans Rien sur Robert et Auteuil dans Petites coupures). Côté onde négative, une certaine lassitude (pour ne pas dire une lassitude certaine) à l’égard de ces comédies « intellos » qui pullulent sur les écrans depuis 10 ans et qui se targuent de nous faire rire en mettant en scène (c’est un bien grand mot) la psychanalyse (Cf. Jeanne Labrune, Danièle Dubroux, Sophie Fillières et consorts) et des personnages d’écrivains, de médecins ou d’étudiants quadragénaires peinant à terminer leurs thèses.
Autant l’avouer tout de suite, ma bienveillance pour Bonitzer à cette fois-ci été battue en brèche par mon « côté obscur » : Je pense à vous est un film raté et authentiquement bourgeois.
Lorsque j’emploie ce terme de « bourgeois », j’aimerais être sûr que nous nous comprenons bien. Il ne s’agit pas de reprocher à Bonitzer de ne s’intéresser qu’à des nantis parisiens et de lui intimer l’ordre d’aller à l’usine pour faire des films ! Je le répète, je préfère qu’un cinéaste me parle bien du milieu qu’il connaît plutôt qu’il me tanne de bons sentiments avec quelque chose qu’il ne connaît pas. Je ne suis pas persuadé que Bonitzer serait l’homme le mieux placé pour me parler du travail à la chaîne ou du quotidien des enfants des rues de Bombay !
Ce que je lui reproche, c’est d’être « bourgeois » (ou frileux, conformiste ; ce qui revient sensiblement au même) dans la forme. La bourgeoisie peut-être un sujet passionnant s’il est traité avec un véritable point de vue et des enjeux cinématographiques, que ce soit la culpabilité et le retour du refoulé (comme dans Caché de Haneke) ou les grandes questions existentielles qu’aborde, par exemple, Alain Resnais dans Cœurs (j’espère que vous y êtes allés ; sinon, vous avez loupé le plus beau film de l’année).
Or, Je pense à vous ne dépasse jamais le caractère anecdotique et étriqué de son scénario. Il est question d’un écrivain qui déballe sa vie sentimentale passée dans un livre (Charles Berling), de l’ex-compagne dudit écrivain qui veut lui intenter un procès pour atteinte à la vie privée (G.Pailhas) alors que c’est son nouveau mari (Edouard Baer) qui l’édite. Editeur qui voit également sa vie basculer lorsque re-débarque à l’improviste son ex (Marina de Van).
Quelques quiproquos vaudevillesques, quelques allusions à des personnages existants (l’affaire Desplechin/ Denicourt ; Christine Angot…) pour ébaudir le microcosme parisien et les critiques qui, bien évidemment, ont adôôôrré ce film et c’est tout ! Rien qui ne dépasse le train-train d’un scénario pas bien passionnant (en tout cas, pas très original) et d’un humour quasiment absent (un petit film comme Quatre étoiles de Christian Vincent est beaucoup plus drôle !)
Seul un personnage aurait pu faire basculer le film dans une autre dimension, c’est celui qu’incarne Marina de Van. Cette fille a un talent fou. Elle fut scénariste pour François Ozon et lui permit de réaliser son meilleur film (Regarde la mer) avant de tourner un très prometteur premier long-métrage (Dans ma peau). Ici, elle est à la fois co-scénariste et actrice. Dans la peau de l’ex d’Edouard Baer, elle est à la fois extrêmement séduisante tout en étant très inquiétante (cheveux tirés en arrière, elle a des allures de nounous psychotiques à la Henry James). Quand elle apparaît, le climat du film se tend et flirte avec une folie que Bonitzer n’exploite absolument pas. C’est elle qui menace le couple bourgeois et, par ricochet, l’ordonnancement trop propret du film. La manière (je ne dirai pas comment) dont le film évince ce personnage est absolument scandaleuse et nous offre une fin désastreuse qui permet le triomphe dégoûtant de la morale bourgeoise. De cette manière, nous tenons là une version parisienne du Peindre ou faire l’amour des frères Larrieu !
On aura compris que je n’aime pas beaucoup ce film. Cependant, si on le compare à certains machins épouvantables dans le même genre (Gentille, par exemple), c’est moins détestable. D’une part, parce que si Bonitzer n’est pas un grand cinéaste (à part deux ou trois cadrages assez beaux et un ou deux raccords malins, il n’y a rien qui distingue Je pense à vous d’un téléfilm tourné pour France 3) ; c’est un scénariste assez brillant (Rivette et Ruiz, ce n’est pas rien ! On regrette même qu’il ne s’abandonne pas à une veine un peu plus « étrange » comme il l’avait fait lors de certains passages de Rien sur Robert). D’autre part, parce que le film est très bien joué : Baer dans son registre habituel mais plus undercover (je brigue une place à Chronic’art !) qu’à l’accoutumé, Marina de Van pour des raisons déjà exposées et Géraldine Pailhas, actrice que je trouvais fadasse à ses débuts et qui devient de plus en plus belle et sexy à mesure qu’elle vieillit (elle a de la chance !). Ajoutez à cela qu’elle est maintenant une excellente comédienne et vous comprendrez mon plaisir à la voir s’épanouir sur grand écran !
Mais sans ces acteurs, le film ne serait vraiment rien !