The card player (2003) de Dario Argento avec Stefania Rocca

 

Ce qui pose le plus de problème aux critiques lorsqu’ils abordent le cas Argento, c’est que notre homme ne soit pas mort et qu’il continue, vaille que vaille, à réaliser des films. En effet, s’il est maintenant de bon ton de s’esbaudir devant les « classiques » du maestro et de reconnaître (enfin !) les qualités de Suspiria, des Frissons de l’angoisse ou de l’oiseau au plumage de cristal ; qui parmi les journalistes officiels a loué à leurs justes mesures des films comme le sang des innocents, le fantôme de l’opéra ou ce mystérieux The card player dont je n’avais pratiquement jamais entendu parler ?

Eh, oui ! Dario Argento tourne encore et son œuvre récente n’a rien à envier aux glorieux prédécesseurs des années 70, 80 (j’avoue même préférer largement le très beau Syndrome de Stendhal à des films comme Inferno ou Phénoména). Malheureusement, tout le monde (j’entends chez les professionnels appointés) semble l’avoir oublié. Un bonnet d’âne, donc, au pigiste de Télérama qui présente The card player comme « le plus mauvais film d’Argento ».

 

L’argument du film est simple comme bonjour : un tueur détraqué enlève de jeunes femmes et en fait l’enjeu de parties de poker virtuelles qui lui permet de défier la police via internet. Pendant qu’une belle inspectrice et l’un de ses collègues mènent l’enquête, les cadavres s’accumulent et le mystère s’épaissit…

Les parties de poker filmées par Argento sont assez passionnantes puisqu’à l’aide d’une webcam, le meurtrier montre à la police (et donc à nous spectateurs), le visage bâillonné et terrorisé des victimes. The card player s’annonce donc comme une nouvelle variation autour du thème hitchcockien de la mise en scène comme dispositif sadique. Dans ce film, le cinéaste nous assigne la place du spectateur-voyeur qui se trouve dans l’incapacité d’intervenir pour sauver les victimes du détraqué (remember James Stewart dans Fenêtre sur cour). D’un autre côté, c’est de cette position que le spectateur, qui possède lui-même sa part de sadisme, tire toute sa jouissance. L’idée de placer sous le signe d’un jeu de hasard (le poker) ce rapport ambigu entre la culpabilité d’une certaine impuissance et le désir de jouir du dispositif sadique de la mise en scène est vraiment excellente. C’est donner l’illusion au spectateur qu’il peut, malgré tout, intervenir dans la mise en scène (celle du tueur et celle du cinéaste) sans pour autant renoncer à sa jouissance (celle du jeu, du risque…).

Paradoxalement, Argento traite cette matière assez théorique de façon un peu anonyme. Le film démarre pianissimo et ne se démarque pas, il faut bien le reconnaître, de la facture habituelle des séries télé américaines (avec police scientifique et recueil d’indices dans des petits sachets en plastique). C’est assez efficace mais on commence par regretter un peu la flamboyance du Sang des innocents.

 

Au bout d’une heure, le cinéaste semble abandonner quelque peu son dispositif sadique et décide de résoudre son énigme. Le film devient alors plus classique mais paradoxalement (eh oui, encore une fois !), le cinéma reprend ses droits et la mise en scène s’anime. C’est le moment où notre inspectrice est menacée par le tueur qui s’introduit chez elle. La séquence est extraordinairement bien mise en scène (découpage, montage, jeu sur la valeur des plans…) et distille alors une profonde angoisse. Argento retrouve alors ses bouffées de folie baroque, organise un jeu « grandeur nature » (un jeune homme est sommé de choisir entre deux portes, l’une le conduisant au cimetière, l’autre lui permettant de s’échapper…) et s’amuse comme un petit fou à créer, par ses mouvements de caméra, un espace de jeu que contrôle son tueur démiurge.

Alors, bien sûr, la rigueur du sacro-saint scénario est sacrifiée à un certain je-m’en-foutisme  qui culmine dans la dernière scène du film sur une voie de chemin de fer (je n’en dis pas plus). Mais le brio formel d’Argento emporte nos quelques réticences et si The card player n’est sans doute pas son meilleur film (nous aimerions que tous les thrillers contemporains aient cette tenue !), il témoigne que ce grand cinéaste qu’est Dario Argento n’a pas perdu la main…

 

 

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