Le rat débile et le rat méchant
Les sœurs fâchées (2004) d’Alexandra Leclère avec Isabelle Huppert, Catherine Frot, François Berléand
Ce n’est pas la première fois que ce blog se fait l’écho d’un malaise qui frappe l’ensemble du cinéma français aujourd’hui (à sa manière, Hyppogriffe évoque ce problème dans sa dernière note). Entre un cinéma « populaire » totalement minable (à coup sûr, il vaut cent fois mieux aller voir Spiderman 3 que les navets estampillés Besson, Clavier ou Jean Dujardin !) et un cinéma dit d’auteur de plus en plus étriqué ; il ne reste plus guère de place que pour quelques ténors (Chabrol, Rivette, Resnais, Brisseau, Dumont…) qui persistent à faire du cinéma.
Car c’est ici que se situe, à mon humble avis, le vrai problème de la cinématographie française. Les talents ne manquent pas, que ce soit du point de vue des scénaristes et adaptateurs, des comédiens et des techniciens. Sauf que tous ces talents réunis ne suffisent pas et qu’il manque l’essentiel : le cinéma (j’entends par là : de la mise en scène, un point de vue et un véritable regard). L’exemple que cite Hyppogriffe, Très bien, merci, me semble effectivement caractéristique (même si je suis plus indulgent pour cette œuvre qui parvient à faire naître, malgré tout, un peu d’ambiguïté) : un scénario astucieux, des comédiens excellents mais une platitude formelle qui a tendance à desservir le propos de la cinéaste.
Les sœurs fâchées, c’est la même chose mais en pire ; en bien pire ! Non seulement la mise en scène est totalement absente (la moindre saga estivale sur TF1 est plus expressive que ça !) de ce film qui se contente d’illustrer son pâle scénario mais ce scénario se limite, de surcroît, à son seul titre. Vous dîtes : « sœurs et fâchées » et vous avez alors toute la mécanique du récit qui se dévide sans le moindre accroc, sans la moindre épaisseur, sans la moindre ambiguïté et sans le moindre risque de se confronter au Réel, à quelque chose qui dépasserait un tant soit peu ce catalogue de lieux communs et de conventions.
Les sœurs, ce sont Martine (Isabelle Huppert), grande bourgeoise parisienne qui tente d’oublier ses origines et Louise (Catherine Frot), esthéticienne au Mans qui « monte » à Paris pour discuter avec un éditeur d’un manuscrit qu’elle a envoyé. Comme je le disais plus haut, nous avons en France de bons comédiens et ces deux actrices remarquables font leur boulot à la perfection même si elles ont parfois tendance à se caricaturer elles-mêmes, Huppert en bourgeoise frigide et glaciale et Frot en popote campagnarde spontanée et rigolote. Sauf qu’elles doivent défendre des personnages qui ne sont que des caricatures et des situations qui ne sont que des conventions.
Le regard que madame Leclère porte sur la société est binaire comme celui de Chatiliez. Les provinciaux sont forcément des ploucs et les parisiens d’ignobles snobinards. De là découle un catalogue fort déplaisant de petites mesquineries où l’on verra notre souris des champs se ridiculiser en société par son enthousiasme et sa naïveté alors que notre rat des villes ne laissera suinter que sa méchanceté et son égoïsme. Bien entendu, ce dernier sera puni et la campagnarde décrochera un contrat qui récompensera sa simplicité et son bon gros sens populaire (elle sympathise avec tout le monde, y compris la domestique de sa sœur). Le message est d’une originalité à faire blêmir Alexandre Jardin : l’argent ne fait pas le bonheur et le bon sens sert davantage que les études ou le goût pour les choses de l’esprit !
J’allais presque dire : pourquoi pas ? Encore faudrait-il que la cinéaste ose faire quelque chose de ces clichés qu’elle enfile tout au long de ses interminables champs/contrechamps (un personnage parle : on le cadre frontalement et c’est à peu près tout à quoi se limite le langage cinématographique dans ce film). Il faudrait qu’elle évite ces conventions voyantes comme une érection sous un slip de bain (euh ! si je veux !). Et surtout, il faudrait qu’elle ait un minimum de talent pour incarner tout cela. Tout sonne faux dans ces Sœurs fâchées : on loue le bon sens de la plouc (tout en faisant marrer le public sur son dos) mais on évolue dans un trente-six pièces cuisine avec bonniche et amie galeriste (comment Martine a pu échapper à ses origines modestes, cela n’est dit nulle part). Tout est de ce tonneau et pue l’artifice à plein nez : la mère tellement rigide qu’elle a honte de la toux de son fils (ah ! elle est vraiment affreuse cette parisienne !), le mari désabusé (excellent François Berléand, là n’est pas le problème) qui se tape forcément la meilleure amie de sa femme, la réussite de Pauline…
Tout cela se voudrait une étude un peu psychologique et un peu sarcastique sur les mœurs de notre époque mais où est-elle, notre époque ? C’est quoi, la Province, pour madame Leclère ? (les robes et vases de mauvais goût ?) Qui vit comme son couple principal à Paris ?
Attention, je ne critique pas ici le manque de « réalisme » du film mais l’absence totale de point de vue et un regard vraiment mesquin qui ne cherche qu’à ricaner de ses personnages, à les rendre ridicules et à les juger.
Dans ce très mauvais téléfilm, il y a quelques secondes de très grand cinéma. C’est lorsque les sœurs regardent la télé et que la cinéaste nous offre un extrait des Demoiselles de Rochefort. Alors on se souvient soudain de la générosité de Demy, de son sens de la mise en scène et du spectacle, de son amour pour les mélodrames et les personnages hantés par la quête du grand Amour. C’était beau ! C’était grand !
Les temps ont bien changé…