Persépolis (2007) de Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud

 

Me voilà bien embêté pour débuter cette note puisque Persépolis fait partie de ces films incritiquables. En effet, il faudrait être une brute pour ne pas être touché par ce récit autobiographique d’une jeune femme qui a connu la dictature du Shah d’Iran, la révolution islamiste, la guerre, l’exil et le déracinement et ne pas ressentir un pincement au cœur devant les moments les plus émouvants du film. Et si je commence à émettre quelques réserves sur cette œuvre promise à un grand succès public (les applaudissement qui conclurent la projection en avant-première d’hier soir le garantissent), on va me taxer de sans cœur. Pourtant, face à ce genre de film, j’ai toujours la peur que cette émotion soit « verrouillée » d’entrée de jeu ; qu’elle ne soit pas distillée par une construction de la mise en scène mais par un simple chantage au vécu. Qui sommes-nous, petits occidentaux nantis, gorgés de suffisance, pour oser porter un regard critique sur une expérience aussi douloureuse et aussi traumatisante ? A partir du moment où Marjane Satrapi a vécu les évènements terribles qu’elle décrit, il n’y a plus de place pour un autre discours que celui de l’émotion et de la tautologie (« la guerre, c’est terrible »). Où l’art cinématographique peut-il alors trouver sa place ? Heureusement, si la dessinatrice me semble parfois heurter les écueils que je viens d’évoquer ; elle parvient aussi à les contourner assez brillamment.

Détaillons.

Pour dire très vite et de façon schématique, une œuvre d’art m’intéresse lorsqu’il y a adéquation entre un fond et une forme. C’est pour cette raison que je tiens Persépolis, la bande dessinée, pour quelque chose de très grand alors que j’avoue ne m’intéresser que très peu à ce domaine de la création. Pour raconter son enfance et son adolescence à Téhéran sous le régime totalitaire des ayatollahs ; Marjane Satrapi a su trouver un style (noir et blanc, trait simple voire presque naïf…) correspondant à merveille (me semble-t-il) à ce que pouvait être son regard de petite fille sur les évènements.

Or ce trait si caractéristique de son auteur, on le retrouve bien évidemment dans ce film d’animation qui reste assez fidèle, malgré certaines ellipses, aux bandes dessinées d’origine. Et c’est dans ce trait que se niche, en grande partie, les qualités de Persépolis le film. Marjane Satrapi parvient à dégonfler l’emphase de la grande Histoire par son point de vue d’enfant puis d’adolescente. Les évènements prennent d’autant plus d’ampleur qu’ils sont vus du point de vue intime.

Par son sens incroyable de la narration, du détail cocasse (le marché noir où Marjane achète sous le manteau des cassettes du groupe Iron Maiden) et du portrait, Satrapi parvient à dédramatiser le contexte dans lequel elle a grandi. Persépolis, il est plus que temps de le préciser, est aussi un film très drôle où le spectateur croise des personnages haut en couleurs (la mamie rebelle, portrait assez classique mais attachant dans la mesure où c’est Danielle Darrieux qui se charge de sa voix), des observations très justes sur le passage de l’adolescence ou les premières amours difficiles et des passages assez désopilants où la cinéaste évoque sa confrontation à une autre culture (ses premiers concerts de hard à Vienne, son regard sur le folklore autrichien…).

Tout ce qui relève de l’autoportrait est vraiment très réussi et l’on retrouve dans le film ce mélange délicat d’humour et de gravité qui faisait le prix de la BD.

Là où le bât blesse, c’est lorsque l’auteur décide de tirer de son expérience individuelle de grandes leçons d’humanisme. Cette dimension était déjà présente dans les BD mais me semblait davantage couler de source. En quatre volumes, Satrapi avait moyen de plus fouiller ses personnages et son récit pour que cet aspect arrive naturellement. Dans le film, cela semble plus artificiel et l’animation même plombe un peu la légèreté du trait pour surligner les passages émouvants.

Plus que de grands discours, une scène me semble particulièrement résumer ma pensée. Marjane est à Vienne, avec sa bande de potes, des punks vaguement anars et nihilistes. Un soir de Noël, l’un d’entre eux récite à nouveau son sempiternel discours sur le néant et sur l’inintérêt patent de l’existence. Alors Marjane s’emporte et, pour lui clouer le bec, lui rappelle que son oncle est mort pour avoir défendu la liberté, héroïsme qui prouve de manière irréfutable l’intérêt de la vie. L’émotion que nous propose Satrapi est de cet ordre : elle ne souffre aucune réplique, aucune risposte car elle repose sur du vécu (mais j’aimerai sincèrement qu’on me prouve en quoi les millions de morts qu’on fait toutes les guerres ont amélioré en quoique ce soit le sort de l’humanité !) Et Persépolis, en misant sur cette seule émotion, n’énonce plus alors que quelques sophismes à l’usage d’un public enseignant ou lecteur de Télérama : la guerre, contrairement à ce que disait Apollinaire, n’est pas jolie ; l’intégrisme, c’est mal mais on ne touche pas aux religions, la condition des femmes sous l’islamisme est pire que celle des hommes… Cela ne va pas plus loin et c’est le ralliement à l’humanitarisme le plus plat, celui qui se contente de l’ordre des choses ici sous prétexte que lesdites choses vont beaucoup plus mal là-bas (à l’image de cet ignoble clip pour la Ligue des droits de l’homme diffusé avant le film où l’on se réjouit que des jeunes cons puissent proférer les pires banalités médiatiques sur des hommes politiques. C’est fou le nombre d’individus qui croient encore sincèrement qu’ils ont le choix lorsqu’ils votent pour l’UMP ou le PS !)

Je vous rassure, ces platitudes d’ordre général me paraissent assez ponctuelles dans un film qui sait conserver le point de vue de son héroïne. Et malgré les défauts énumérés, Persépolis parvient à transposer à l’écran ce regard singulier et précieux de cette jeune fille surdouée. Pour ces beaux yeux, le film mérite un petit crochet…

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