Archéologie du cinéma érotique (suite)
Les désaxées (1972) de et avec Michel Lemoine et Janine Reynaud, Claudia Coste
Serais-je le dernier, je m’entêterais à continuer mon exploration de cet immense vivier à nanars que constitue le cinéma érotique européen des années 60/70 (avant que l’arrivée de la classification X des films vienne mettre un terme au genre). Reprenons, si vous le voulez bien, des fouilles archéologiques que j’avais délaissées depuis un certain temps et arrêtons-nous sur le cas de Michel Lemoine.
Héraut du cinéma bis des années 60, Lemoine fut d’abord remarqué comme acteur (on a pu le voir chez Jess Franco –Necronomicon- ou chez Bénazéraf –Frustration-) avant de réaliser ses premiers films soft aux débuts des années 70 (citons Les chiennes (alias : Le manoir aux louves) ou Les frôleuses (alias : Les confidences érotiques d’un lit trop accueillant)).
Puis, comme la plupart des artisans de cette époque, il se reconvertit dans le cinéma porno hard, signant la plupart de ses films du pseudonyme de Michel Leblanc. J’avoue n’avoir vu aucun de ses films X mais d’après les connaisseurs, ils se caractérisent par une esthétique papier glacé et représentent la part la plus aseptisée du genre. Signalons cependant qu’il fit tourner à de nombreuses reprises sa muse Olinka et que la simple évocation de ce nom fera venir un petit soupir nostalgique à bien des polissons !
Les désaxées est son premier film « officiel » (il aurait réalisé auparavant un film en Allemagne dont la paternité lui aurait été retiré pour d’obscures raisons juridiques) et le cinéaste le présente comme une œuvre fortement teintée d’autobiographie. Nous y faisons la connaissance de Michel, un libertin qui souhaite entretenir avec sa femme une relation libre et assouvir ses désirs pour les autres femmes sans pour autant renoncer à son amour. De son côté, Marianne (la sublime Claudia Coste, aux petits airs de Jeanne Goupil) pourra elle aussi faire l’expérience de la liberté.
J’avoue que l’aspect kitsch des films érotiques des années 70 est l’une de mes principales motivations pour les regarder (la plupart sont, quand même, terriblement ennuyeux). Kitsch, les désaxées l’est par certain aspect : les tenues des acteurs, une musique assez atroce et une mise en scène qui a assez mal vieilli malgré quelques jolies idées (Lemoine parvenant à brouiller la chronologie de la narration sans jamais souligner les flash-back). Mais ce qui étonne le plus, c’est que ce film s’avère, au bout du compte, totalement sincère et finalement assez émouvant.
L’érotisme n’est pas utilisé ici comme un appât commercial mais s’inscrit au cœur même des motivations d’un personnage qui souhaite vivre pleinement les idéaux de Mai 68. Michel s’obstine à voir dans le mariage autre chose qu’une prison et souhaite assouvir ses désirs sans pour autant cesser d’aimer sa femme. Il souhaite d’ailleurs partager ses plaisirs avec elle et l’inviter dans ses ébats (ce qui nous vaudra de belles et tendres scènes de triolisme). Je sais qu’en écrivant ces mots à l’heure du plus puant retour à l’ordre moral et au révisionnisme le plus abject concernant 68 (cause de tous nos maux actuels), j’ai l’impression de parler un dialecte que plus personne ne comprend mais le film est intéressant car il ne fait pas l’impasse sur l’écueil de ce type de relations utopiques.
Tout n’est pas réussi dans les désaxées et on aimerait parfois un peu plus de vigueur dans le montage, un peu plus de rigueur dans la direction d’acteurs (Janine Reynaud, épouse de Lemoine à l’époque, est néanmoins très bien). Mais il y a dans ce film un brin mortifère (surtout lorsqu’on le découvre 35 ans après) une vraie sincérité qui se conjugue assez bien avec un fond de tristesse.
Pas un chef-d’œuvre mais une curiosité pour ceux qui n’ont pas d’a priori sur un genre assez codifié…
NB : Signalons également le plaisir qu’il y a de voir dans les films de ces années-là de véritables femmes, sensuelles et suaves, à l’écran. Elles ont malheureusement totalement disparu du cinéma cochon depuis le début des années 90 où l’on a commencé à utiliser, à deux, trois exceptions près, des poupées de synthèse reconstituées en usine…