La fiancée était en noir
Une belle fille comme moi (1972) de François Truffaut avec Bernadette Lafont, André Dussollier, Charles Denner, Guy Marchand, Claude Brasseur, François Léotard, Gaston Ouvrard
Ce n’est pas sans une certaine émotion que j’ai découvert Une belle fille comme moi ; tout simplement parce qu’il s’agissait du dernier film de Truffaut que je ne connaissais pas (pour être tout à fait franc, je n’ai pas vu non plus Tire-au-flanc 62 qu’il co-réalisa avec Claude de Givray) et que je dois désormais me résigner à ne plus jamais voir un « nouveau » film de ce cinéaste.
Tourné entre l’un de ses plus beaux films, Les deux anglaises et le continent (sombre film d’amour au romantisme désespéré) et La nuit américaine où il faisait le point sur sa pratique du cinéma ; Une belle fille comme moi apparaît avec le recul du temps comme un film « mineur », une récréation que s’est offerte Truffaut après l’échec cuisant que fut les deux anglaises.
Le jeune sociologue Stanislas (André Dussollier dans son premier rôle), dans le cadre de la préparation d’une thèse sur les femmes criminelles, rend régulièrement visite à Camille Bliss (Bernadette Lafon), détenue délurée accusée de meurtre. Au fur et à mesure que la belle lui raconte les affres de son existence agitée, le spectateur est invité à suivre ces épisodes sous forme de flash-back…
Avec ce film, Truffaut retrouvait l’interprète des Mistons et c’est peu dire qu’Une belle fille comme moi est une ode à la gouaille et à la vitalité de Bernadette Lafont. C’est elle qui imprime au film cette teinte truculente et joviale et qui lui permet de ne jamais reculer lorsqu’il s’agit de se confronter à la trivialité des situations. Autour d’elle virevolte une cohorte de personnages masculins que Truffaut s’amuse à caricaturer avec gourmandise : le mari obsédé et porté sur la bouteille (Léotard, forcément !), l’avocat véreux (Claude Brasseur), le crooner sexy et ringard (Guy Marchand) et, cerise sur le gâteau, cet inénarrable dératiseur catholique et puritain qu’incarne le merveilleux Charles Denner.
Si le terme « film d’acteurs » ne désignait pas trop souvent ces comédies françaises plombées par la toute-puissance du scénario de les « mots d’auteur » ; on l’appliquerait volontiers à Une belle fille comme moi. Fort heureusement, Truffaut ne fait pas primer le récit sur la mise en scène et il parvient à dynamiter une certaine lourdeur (reconnaissons que le propos n’est pas toujours très fin) par une véritable élégance dans le filmage. Par un découpage sec et très habile, le cinéaste ne laisse jamais faiblir le rythme et le spectateur se laisse entraîner avec délice dans ce ballet ininterrompu de manipulations, d’adultères et de…crimes (j’ai oublié de préciser qu’il s’agit d’une adaptation d’un roman de la Série noire). Le cinéaste était un grand amateur de Lubitsch (qui ne l’est pas ?) et il a retenu certaines leçons du maître (vivacité du montage, sens de l’ellipse- cette symphonie de moteurs de Formule 1 qui annonce les ébats amoureux entre Camille et son chanteur-…) qui lui permettent ici de réaliser une œuvre sans mauvaises graisses, sans longueurs inutiles.
Si je parle néanmoins de « film mineur », c’est qu’Une belle fille comme moi ne dépasse jamais le stade de la grosse farce (plutôt drôle et enlevée, là n’est pas le problème). Or à la même époque, le même Bernadette Lafont sortait de La fiancée du pirate, également une comédie centrée sur un personnage anticonformiste mais possédant une dimension subversive totalement absente du film de Truffaut.
Autant le comportement de la Marie de Nelly Kaplan servait de révélateur à un ordre social hypocrite et témoignait d’une volonté réelle d’insoumission; autant Camille est une « voyou » sympathique faisant tourner en bourrique des mâles un peu ridicules, mais elle ne remet jamais véritablement en question l’organisation de la société.
Je ne suis pas en train de dire que tous les films devraient prendre l’apparat de pamphlets anarchisants ; mais lorsqu’on tourne un film sur une héroïne rebelle, la moindre des choses, me semble-t-il, est qu’elle s’oppose un tantinet à notre « monde de l’erreur complète ».
Or à part quelques pointes d’humour noir bienvenue (dont une fin délicieusement cynique), Une belle fille comme moi reste constamment un de ces « objets gentils » chers à Patrice Leconte.
La verdeur du propos et la belle santé d’une comédienne (qui n’a jamais été aussi sensuelle et pétulante qu’en cette période du début des années 70) retombent un peu comme un soufflé lorsque apparaît le mot « fin » du générique.
La rébellion n’aura pas eu lieu. Reste une comédie pleine d’humour et de vitalité. Ce n’est déjà pas si mal…