L'autre Brigitte
Coffret Brigitte Lahaie (L.C.J éditions) Sortie le 15 octobre 2020
Pénétrations méditerranéennes (1978) de Jean-Marie Pallardy avec Brigitte Lahaie
Baisers exotiques (1981) de Jean Luret avec Brigitte Lahaie, Cathy Stewart
Le Bijou d’amour (1977) de Patrice Rhomm avec Pamela Stanford, Brigitte Lahaie
Touchez pas au zizi (1977) de Patrice Rhomm avec Brigitte Lahaie, Michel David, Pamela Stanford
Prends moi…de force (1978) de Jean-Marie Pallardy avec Brigitte Lahaie, Gordon Mitchell
Le Couteau sous la gorge (1986) de Claude Mulot avec Florence Guérin, Alexandre Sterling, Brigitte Lahaie
Il est assez amusant de se dire que ce sont deux Brigitte qui, à deux décennies d’écart, ont incarné une certaine idée de la libération des mœurs de leur époque qu’elles ont accompagnée voire devancée. Entre Bardot et Lahaie, les similitudes ne s’arrêtent pas aux prénoms : même plastique sculpturale, même moue ravageuse (même si celle de Brigitte Lahaie fait plus tigresse que la boudeuse Bardot), même chevelure blonde et un jeu d’actrice assez limité mais compensé par une présence magnétique à l’écran. Bien sûr, ces deux actrices ne jouent pas dans la même « catégorie ». Bardot symbolise le début de la libéralisation des mœurs au cœur des années 50 et par un simple mambo endiablé (Et Dieu créa la femme), elle fait craquer les coutures de sa jupe trop étroite pour montrer la voie vers une libération des corps et de la sexualité. Brigitte Lahaie débute dans le ghetto du cinéma porno mais son nom dépasse pourtant ce cadre étriqué. Elle incarne plus qu’aucune autre star du genre une façon de vivre le sexe de façon totalement désinhibée, en toute impudeur, sans aucun frein. D’ailleurs, dans son cas, le spectateur va voir un film DE Brigitte Lahaie et non pas du tâcheron (ou de l’honnête artisan car elle en a connu) qui l’a mise en scène.
L’écart des générations joue en faveur de Bardot puisqu’elle a pu être immortalisée par Vadim, Malle et surtout Godard mais on peut se demander si, avec vingt ans de moins, elle ne serait pas non plus passée par la case « érotique » (elle débuta d’ailleurs dans la photo de charme). Quant à Brigitte Lahaie, se replonger dans son œuvre via ce coffret permet de mesurer son aura (elle n’apparaît que deux minutes – et non dévêtue- dans Le Bijou d’amour mais c’est sur son nom qu’on s’appuie pour vendre le film) et d’humer l’atmosphère hautement érogène des années 70/80. L’un des charmes de cette sélection, c’est que la plupart des films réalisés sont l’œuvre d’artisans œuvrant volontiers dans le cadre du cinéma bis et de la bonne série Z plutôt que dans le X pur et dur (les frontières étant évidemment poreuses).
Pour commencer, il convient de démêler quelques mystères que recèlent ce coffret et d’analyser le plus mauvais film du lot. Sur la jaquette, il nous est vendu sous le titre Safari porno et plus sobrement Safari au générique du film. Or, tous les cinéphiles savent parfaitement (enfin, ceux qui possèdent l’indispensable Dictionnaire des films français pornographiques et érotiques de Christophe Bier) que ledit Safari porno est un remake « hard » du Salaire de la peur signé Alain Nauroy et que Brigitte Lahaie n’y figure pas du tout (Martine Grimaud et Sylvia Bourdon sont les vedettes de cette œuvre, si vous voulez tout savoir). A la place, nous assistons à une drôle d’histoire de microfilm qu’une jolie brunette (la regrettée Cathy Stewart) doit récupérer dans le sud de la France (ne demandez pas pourquoi, je n’en sais toujours strictement rien !). Il m’a fallu procéder avec méthode pour enfin démêler ce sac de nœuds. Si un certain Sam Corey a bien réalisé Safari Porno, il se trouve que ce pseudonyme a généralement été utilisé par le redoutable Jean – Parfum d’une petite culotte- Luret. Il m’a fallu donc éplucher la filmographie de notre bonhomme, notamment les œuvres où il fit tourner la grande Brigitte, pour enfin tomber sur Baisers exotiques dont le résumé s’avère conforme au film visionné. Dans son dictionnaire, Christophe Bier regrette n’avoir vu qu’une version « soft » de 62 minutes. Ici, le film est présenté dans sa version hard ce qui signifie une ouverture d’un bon quart d’heure uniquement composée de plans gynécologiques d’organes en action. Comme Luret ne prend pas la peine d’étalonner ses plans (qu’il s’agisse de la photo soudainement désaturée ou du son avec des coupes brutales), que le montage du film est effectué en dépit du bon sens (je soupçonne même certains plans d’être agencé dans le mauvais ordre), le film s’avère d’une rare laideur et d’un ennui terrassant.
Une fois ces inserts « hard » passés, le film renoue avec la routine du film « soft » avec, de temps en temps, un plan plus explicite complètement déconnecté de la logique du récit. Pendant que Cathy Stewart tente de séduire deux mâles sur un bateau qui, de leur côté, veulent la mettre aux fourneaux (voilà qui réjouira les épigones d’Iris Brey), les épouses des deux marins (Brigitte Lahaie et Pascale Vital) prennent du bon temps et en offrent aux spectateurs. Mais honnêtement, il n’y a pas grand-chose à dire de plus sur ce film très routinier et horriblement bâclé. Tout juste peut-on signaler, pour les amateurs de curiosité, une scène (là-encore, dénuée de tout rapport avec le propos) qui fait la part belle à l’homosexualité masculine. En effet, Piotr Stanislas, connu pour sa bisexualité, est le seul homme à donner de sa personne dans ce film. Et le temps d’un très court moment, probablement un « stock shot » venu d’une autre œuvre, on le voit se faire sucer à la fois par une dame et par un monsieur chauve. Néanmoins, lorsqu’il s’apprête à sodomiser ledit chauve, la scène s’interrompt aussi brutalement qu’elle avait commencé. A la limite, on pourra estimer que ce bric-à-brac incohérent donne un caractère dadaïste à cet improbable navet.
Si l’on peut se dispenser de ce Baisers exotiques, les autres films méritent plus d’attention. Deux sont signés Jean-Marie Pallardy, auteur d’improbables westerns érotiques aux titres fameux (L’Arrière-train sifflera trois fois, Règlements de femmes à O.Q. Corral) et du délicieux nanar intergalactique Vivre pour survivre, improbable film d’aventures avec diamant radioactif, combats avec tronçonneuse et impayables vilains moustachus.
Le premier, Pénétrations méditerranéennes, est un porno brut de décoffrage et ne siéra donc guère aux âmes pudibondes et aux apôtres du bon goût. Pallardy ne s’embarrasse d’aucun argument scénaristique, filme sa croisière touristique en Grèce et intercale trois séquences hard au milieu de ses cartes postales. C’est un peu le niveau zéro de l’érotisme mais, malgré tout, le film finit par intriguer grâce à son filmage. En effet, au lieu de découper selon les règles immuables du genre (les fameux inserts gynécologiques), Pallardy réalise son film caméra au poing et en plans-séquence, s’approchant au plus près des corps en action mais en parvenant ainsi à conserver une certaine « réalité » desdits corps. De plus, la caméra prend parfois son autonomie, panote étrangement pour saisir dans le coin de la chambre un « voyeur » qui contemple les ébats sans qu’on ne sache rien de lui (qui est-il ? que fait-il ?). Lors de la deuxième séquence, l’opérateur – sans doute las d’enregistrer les ébats des comédiens- quitte le théâtre de l’action, se dirige vers la fenêtre et fait un beau panoramique sur la mer et une piscine vues depuis la chambre de l’hôtel. Et qui revoit-on sur un balcon attenant ? Toujours l’énigmatique voyeur qui adresse un grand sourire à la caméra. Ces petits détails insolites rehaussent l’intérêt qu’on peut porter à ces Pénétrations méditerranéennes.
Avec Prends moi…de force, Pallardy retrouve un terreau qu’il affectionne : l’érotisme campagnard et rustique (L’Amour chez les poids lourds, Journal érotique d’un bûcheron). Brigitte Lahaie n’apparaît que dans la première séquence puisqu’elle incarne une des deux jolies pique-niqueuses qui se font reluquer par un violeur encagoulé avant de se faire piquer puis… enfin, bref, vous avez compris l’idée. Le film suit les pérégrinations de ce mystérieux personnage qui sera l’unique homme (il y aurait une thèse à écrire sur sa réduction à une simple silhouette sans visage ni identité, preuve que la gent féminine n’est pas la seule à subir ce phénomène de réification dans le cadre du porno) à donner de sa personne. Si les scènes pornos ne présentent pas un intérêt démesuré, l’ambiance redneck du long-métrage est assez amusante. On y retrouve en effet Gordon Mitchell (qui tournera par la suite dans Vivre pour survivre et qui fut le glaçant tueur du Coup du parapluie d’Oury) qui incarne un riche américain soupçonné par les bouseux du coin d’être le « violeur en série ». Cela nous vaut une scène de bagarre à la Terence Hill et Bud Spencer pas piquée des hannetons (avec ce vieux paysan moustachu, chemise à carreaux et casquette vissée sur le crâne) et un finale qui rappelle le particulièrement gerbant Corps de chasse de Michel Ricaud. Le carton conclusif nous laisse sur un grand mystère et s'avère particulièrement réjouissant.
Avec Patrice Rhomm, nous abordons le territoire du cinéma érotique « soft » et cela n’a rien pour nous déplaire surtout lorsqu’il s’agit de nous épargner des plans de membres turgescents particulièrement disgracieux pour se concentrer sur l’anatomie de somptueuses créatures. « Créature » est le terme adéquat puisque dans Le Bijou d’amour (mon préféré du coffret) la découverte d’un bijou diabolique va contraindre un homme à affronter une série de succubes plus ou moins déchaînés. L’impayable bande-annonce du film nous promet le plus « fantastique des films érotiques et le plus érotique des films fantastiques ». Même si la déclaration est un tantinet présomptueuse, elle rappelle que Rhomm vient davantage de l’univers du cinéma « bis » que du X, scénariste du beau Au service du diable de Jean Brismée qu’il fut avant de commettre un mémorable jalon de la nazisploitation chez Eurociné avec Elsa Fraulein SS. Avec Le Bijou d’amour, le cinéaste se situe dans la lignée d’un Jean Rollin (ce n’est sans doute pas un hasard si l’on aperçoit une affiche de Lèvres de sang) ou encore de Jess Franco qui fit de Lina Romay l’un des plus beaux succubes imaginables (La Comtesse noire).
Certes, le film s’avère un peu moins inventif au niveau de la mise en scène et un brin répétitif dans son dispositif (une femme touche la bague du héros et le voilà projeté à l’intérieur d’une scène érotique). Mais cette petite touche fantastique donne un certain cachet à cette succession de saynètes à l’érotisme « soft » mais néanmoins assez insistant. Il faut voir la volcanique Pamela Stanford, chaussée de hautes cuissardes, faire preuve d’un tempérament ravageur face à sa proie mâle pour saisir la teneur de l’œuvre.
Touchez pas au zizi (quel titre !) du même Patrice Rhomm s’inscrit davantage dans le registre de la comédie navrante avec quelques gags éculés comme celui de la belle motocycliste qui croise un vélo loupant son chemin et tombant dans une mare pour avoir trop reluqué les cuisses de la belle motorisée. Le scénario repose sur un quiproquo puisque Achille (Michel David) le valet de chambre d’un acteur célèbre prend la place de son patron pendant que celui-ci est en déplacement. Arrivent alors dans les parages Karen, une belle étrangère (Brigitte Lahaie dans un rôle conséquent) et Rodolphe, un jeune homme dont la voiture est tombée en panne. Après avoir été visité en rêve par la fée Erotika (Pamela Stanford), Achille retrouve ses dispositions d’étalon (l’étalon Achille !) et se dispute les faveurs de la belle Karen avec Rodolphe.
Il existe visiblement une version « hard » de ce film mais il nous est proposé ici dans une agréable version « soft ». L’ensemble n’a pas grand intérêt mais est plutôt plaisant. Brigitte Lahaie joue comme une fesse mais montre les siennes, ce qui est, on en conviendra, une jolie compensation (pour être plus juste, son jeu est encore très raide mais elle s’améliorera au fil du temps). On regrette de ne pas voir un peu plus Pamela Stanford mais on se console avec la belle scène entre Brigitte et elle (interrompue un peu trop tôt). L’ambiance est champêtre, les filles sont jolies et ne portent pas de culottes et Brigitte batifole dans les fleurs avec une certaine grâce. Il est probable que l’œuvre soit oubliée d’ici 48 heures mais elle se regarde sans le moindre déplaisir.
Le dernier film du coffret nous permet de découvrir la carrière « classique » de Brigitte Lahaie. Il est assez amusant de constater que si elle a parfois délaissé les plateaux du cinéma pornographique, c’est pour tourner sous la direction d’artisans ayant, eux-aussi, tâté de la fesse : Jean Rollin (Fascination, Les Deux Orphelines vampires, etc.), Jess Franco (Les Prédateurs de la nuit), Michel Caputo (L’Exécutrice), Max Pécas (Brigade des mœurs, On se calme et on boit frais à Saint-Tropez) ou encore ici Claude Mulot, célèbre pour ses films pornos (Le Sexe qui parle) et qui signe avec Le Couteau sous la gorge une sorte de simili giallo à la française.
Brigitte Lahaie ne tient ici qu’un rôle secondaire, celle d’une patronne d’une agence de photos sexy. L’une de ses mannequins, Catherine (la divine Florence Guérin) se sent constamment agressée mais ses plaintes restent sans suite. Or il se trouve qu’un maniaque décime peu à peu les gens de son entourage…
Tueur aux gants de cuir, meurtre à l’arme blanche… Mulot semble marcher sur les traces des grands cinéastes transalpins et laisse même planer l’idée d’une mystérieuse machination. Grâce à une photo soignée, certaines séquences se révèlent assez belles et les éclairages contribuent à donner à ces passages un caractère onirique bienvenu. Malheureusement, le film souffre d’un scénario un peu confus et s’essouffle assez vite. Ces histoires de viol à répétition sur la personne de Catherine ne sont jamais éclaircies, par exemple, et la mise en scène peine à imprimer un rythme à l’ensemble. D’autre part, l’interprétation est un peu juste. Cette fois, Brigitte Lahaie n’est pas en cause et s’en tire honorablement. Idem pour Florence Guérin dont le charme constitue le principal atout du film. En revanche, difficile de dire la même chose d’Alexandre Sterling (le premier amour de Vic dans La Boum 1 et 2) qui a le charisme d’une betterave et qui se montre constamment insipide.
Reste une pointe d’érotisme (rien à voir avec les cinq films précédents puisque le film est sorti avec une simple interdiction aux moins de 13 ans à l’époque) et une tentative louable de s’aventurer sur le terrain du thriller horrifique.
Pour conclure, on soulignera l’excellente qualité des copies proposées par L.C.J. En dépit de quelques scories liées à l’âge des films, ces DVD rendent justice à la photographie et au son de ces œuvres et il ne s’agit pas de simples transferts venus d’antiques VHS. Cela méritait d’être souligné…