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L’Insatiable n°3 : spécial Nikos Nikolaïdis (Mars 2021) de Jacques Spohr
Interrogez n’importe quel cinéphile et demandez-lui de vous citer un cinéaste grec. Inévitablement, le premier nom qui va lui venir aux lèvres sera celui de Theo Angelopoulos. S’il est un peu plus pointu, il citera éventuellement ceux de Papatakis, de Cacoyannis ou encore le pénible (et plus récent) Lanthimos.
Avec son fanzine L’Insatiable, Jacques Spohr nous invite à découvrir tout un pan méconnu du cinéma grec. Après avoir exploré les bas-fonds (cela dit sans le moindre mépris tant on peut y trouver pépites et camées) du cinéma bis, il nous propose cette fois un numéro exclusivement consacré à Nikos Nikolaïdis. Si l’on excepte Singapore Sling, fabuleux OFNI et petit bijou de bizarrerie baroque, moite et décadente, c’est peu dire qu’on connait peu les films de ce cinéaste en nos francophones contrées.
Comme l’écrit l’auteur en introduction de son ensemble, « Nikolaïdis, ou l'opposé absolu d'un Theo Angelopoulos qui a su, lui, se valoriser comme le seul cinéaste grec qui vaille, pour se construire une statue d'artiste d'État, vampirisant pour le seul profit de son œuvre hautaine et surplombante les subventions et les invitations dans les festivals internationaux. »
Nikolaïdis, qui fut également écrivain, débute dans les années 60 par un court-métrage (Lacrymae Rerum) avant de se faire remarquer en 1975 avec son premier long-métrage, l’étonnant Eurydice BA 2037, huis-clos étouffant aux allures de film d’anticipation apocalyptique. Son œuvre sera ensuite assez restreinte (seulement sept long-métrages après ce premier coup d’essai et un téléfilm) et aura du mal à sortir des frontières grecques même si certains titres marquèrent la jeunesse du pays (Sweet Bunch en 1983).
Jacques Spohr procède de manière très limpide en nous proposant une analyse des films de NN et en partant à la rencontre d’un bon nombre de ses collaborateurs, qu’il s’agisse de la magnifique Michèle Valley (actrice suisse, inoubliable dans Singapore Sling) ou de Marie-Louise Nikolaïdis, l’épouse du réalisateur (décédé en 2007) qui fut l’une de ses plus proches collaboratrices, s’impliquant dans tous les films de son mari.
Pour terminer, l’auteur nous offre un petit texte synthétique qui revient sur certaines caractéristiques de l’œuvre de Nikolaïdis : son goût pour le cinéma noir d’antan (il partage avec Lynch une dilection pour Sunset Boulevard de Wilder), l’importance des femmes dans ses films, ses obsessions et son fétichisme confinant à la nécrophilie (faire revivre les morts à travers ses images) …
L’ensemble est passionnant, richement illustré et particulièrement instructif. Inutile de préciser qu’il donne foutrement envie de se plonger dans l’œuvre encore trop méconnue de Nikos Nikolaïdis.