Punk malgré lui
Paris Punkabilly 76-80 (2021) de Vincent Ostria (Marest Editeur, 2021). Sortie le 7 octobre 2021
Critique aux Cahiers du cinéma puis aux Inrockuptibles et à L’Humanité, Vincent Ostria fut, au milieu des années 70, punk malgré lui. Le mot est sans doute d’ailleurs un peu fort pour ce jeune homme féru de rock (surtout le Rockabilly) et qui débarque à Paris pour suivre des études qu’il abandonnera assez vite. Paris Punkabilly 76-80 est d’abord la chronique d’une post-adolescence désœuvrée. Surnommé « le Pape », Ostria traine son ennui entre l’écoute assidue de rockeurs des années 50, la découverte de A la Recherche du temps perdu de Proust et les plaisirs solitaires procurés par le poster central de Playboy. Inadapté au consumérisme des années Giscard et aux derniers feux de la contestation soixante-huitarde (il professe un certain mépris pour les baba-cools), le Pape cherche à se distinguer par un certain dandysme et en adoptant un code vestimentaire hérité des années 50 : veste en tweed, cheveux gominés, lunettes à monture transparente…
La rencontre avec Cécile, alias Zozo, s’avérera déterminante puisqu’en compagnie de cette nouvelle amie, le jeune homme fait la connaissance de musiciens qui formeront par la suite les Stinky Toys, l’un des groupes phare du punk rock français. Paris Punkabilly 76-80 devient alors un passionnant témoignage sur cette « scène française » et sur le Paris noctambule de la fin des années 70. Ostria procède par petites touches et déroule le fil de sa mémoire en une succession d’anecdotes, de moments privilégiés et de rencontres plus ou moins fortuites. Le lecteur croisera ainsi Elli et Jacno, Malcom McLaren mais également Alain Pacadis et Eva Ionesco (qui tournera par la suite dans Crime que réalisera Ostria). Certains contacts paraissent plus improbables, à l’image de cette bande que fréquente de temps en temps l’auteur où officient des gens aussi différents qu’Alain Soral (ayant visiblement déjà une inclination pour les idéologies douteuses) et le cinéaste gay (et junkie) Vincent Dieutre ou ces virées en boite de nuit à Vierzon (!) pour écouter jusqu’à satiété du rockabilly. Parmi les moments qui pourraient figurer dans la légende, on peut citer le voyage Paris-Reims à bord d’un train affrété par le groupe Kraftwerk pour la sortie de leur album Trans-Europe-Express auquel participèrent les membres du groupe Stinky Toys et un Pacadis ivre-mort.
Pourtant, l’intérêt du livre est de ne jamais chercher à enrober cette histoire individuelle dans la parure du mythe ni à enjoliver la réalité. Ne comptez pas sur Ostria pour jouer la partition du « sex, drug and rock’n’roll » puisque ses idylles amoureuses arrivent très tardivement (notamment lorsqu’il s’installe un temps à New York où il découvrira Eraserhead de Lynch) et qu’il s’agisse de lui ou de sa bande, personne ne touche à la drogue (si ce n’est, occasionnellement, un joint ou des amphétamines). Si le Pape se retrouve au cœur de cette mouvance punk, c’est presque par hasard et il revient sur ces années sans nostalgie ni la moindre trace de glamour mais un solide sens de l’autodérision : « Soyons objectifs, cette période de latence et de tâtonnement, qui a bien duré cinq ans, n'a pas énormément enrichi mon existence. Elle m'a surtout inculqué de la morgue et de la défiance à l'égard du reste de la société, dont j'ai encore du mal à me défaire aujourd'hui. Sans le vouloir et sans le savoir, j'ai moi-même été punk. »
Et le récit qu’Ostria fait de ces années peut faire songer au point de vue de Fabrice à Waterloo dans La Chartreuse de Parme : une vision de la « Grande Histoire » (si tant est qu’on puisse parler en ces termes de la mouvance punk) par le prisme d’un regard individuel et subjectif. Et c’est d’ailleurs ce que le rend si passionnant puisqu’il parvient à un équilibre entre la chronique « rock and roll » et le roman intime. Il se dégage alors de Paris Punkabilly 76-80 une sorte de méditation sur une certaine jeunesse, entre insouciance et désillusion. Vincent Ostria a été un enfant de son temps et son expérience pourrait être transposable à toutes les époques : volonté de se distinguer de la génération précédente (les hippies et autres baba-cools sont méprisés), dédain pour la société, affinités électives et goût pour la débrouille au jour le jour… En démystifiant cette période, Ostria la rend plus proche et moins intimidante. Et l’on se demande si, au fond, chaque grand courant artistique ne relève pas du même processus. Qu’il s’agisse des surréalistes, des situationnistes ou de la Nouvelle Vague, n’est-ce pas finalement que la conjonction de quelques individus, liés par l’amitié et animés par des goûts similaires ?
Paris Punkabilly 76-80 est suivi du journal qu’Ostria a tenu pendant le tournage de son film Crime. Là encore, le témoignage est intéressant et on songe parfois au récit de Frédéric Sojcher narrant ses déboires dans Main basse sur le film. Certaines réflexions sur les techniciens n’en faisant qu’à leur tête (surtout s’ils ne sont pas payés) se révèlent assez similaires. Fort heureusement, en dépit de certaines déconvenues (notamment au niveau de la post-production), le tournage se passe mieux et le film finira par sortir en salles. Malgré tout, ce journal laisse un goût amer (la vision d’une profession obnubilée par le seul impératif de rentabilité) et prouve que quelques décennies après ses « années punk », Ostria n’a rien perdu de sa méfiance envers le jeu social et les courbettes hypocrites des soirées mondaines.