Emmanuelle Béart : une actrice française (2024) d'Arnaud Duprat (Editions Lettmotif, 2024)

Persona

De toutes les jeunes actrices apparues au cours des années 80, Emmanuelle Béart est, avec Juliette Binoche, Sandrine Bonnaire, Sophie Marceau et, dans une moindre mesure, Béatrice Dalle, l'une des plus célèbres ayant mené une carrière au long cours entre cinéma et théâtre. Même si elle se fait désormais plus rare sur grand écran, elle demeure une « star » à part au sein du cinéma français.

Arnaud Duprat entend revenir sur son statut de vedette en retraçant les grandes lignes de sa carrière. Qu'on ne s'attende cependant pas à une monographie fouillée où l’œuvre serait étudiée à l'aune de la vie privée de l'actrice. Son essai s'inscrit dans la lignée des études actorales qui tend à définir la persona d'un comédien à travers les rôles qu'il a joués.

Abordant la carrière de l'actrice de manière chronologique, Arnaud Duprat ne s'attarde pas forcément sur les « grandes » œuvres qu'a tournées Emmanuelle Béart mais s'intéresse plutôt aux personnages qu'elle a incarnés et à ce qu'ils disent d'elle :

 

"Cette filmographie, envisagée de façon exhaustive et chronologique, raconte une histoire, et même des histoires. Tout d'abord, nous verrons que les héroïnes -qu'elles soient contemporaines ou non – construisent, au fur et à mesure, une certaine représentation de l'histoire des femmes appartenant à ces quarante dernières années. De manière plus implicite, cette filmographie nous parle aussi de ce que cela suppose d'être une actrice populaire dans le cinéma français de 1983 à 2025. Enfin et surtout, c'est dans la réunion de toutes ces œuvres que se dessine et s'affirme la persona d'Emmanuelle Béart."

 

Débutant par le film qui l'a propulsée vers le devant de l'affiche (Manon des sources), l'auteur s'attache aux éléments qui caractérisent la naissance de la persona d'Emmanuelle Béart : une sorte de pureté qu'elle conserve même lorsqu'elle traverse de dures épreuves (Les Enfants du désordre), une forme de révolte contre les injustices et de colère face aux hypocrisies sociales, un rapport à la nature et à l'élément aquatique omniprésent...

Arrive ensuite les trois rencontres déterminantes qui vont façonner sa persona : André Téchiné (J'embrasse pas), Jacques Rivette (La Belle Noiseuse) et Claude Sautet (Un cœur en hiver). Trois cinéaste qui vont révéler ses talents de comédienne mais qui vont également en faire une « créatrice » à part entière, nourrissant de sa personnalité les films où elle apparaît. Qu'elle soit écrivain/modèle chez Rivette, violoniste chez Sautet ou chanteuse/prostituée chez Téchiné, ses rôles « d'artistes » deviennent une métaphore du couple cinéaste-actrice et parvient à s'extraire de rôles « passifs » pour devenir créative à part entière. Ce n'est sans doute pas un hasard que ces trois cinéastes aient à nouveau fait appel à l'actrice pour approfondir sa persona.

Une femme française n'est pas un grand film mais Arnaud Duprat y voit néanmoins l'épanouissement d'Emmanuelle Béart et son rôle le plus important. Qu'il s'agisse de son rapport au sexe, à une certaine forme d'indépendance ou de liberté, le film de Wargnier représente alors la quintessence de l'art de l'actrice, avec des éléments qu'on retrouve dans un film comme L'Enfer de Chabrol.

Ce que représente alors Emmanuelle Béart, c'est une forme de personnification du féminin des années 80 à nos jours, une manière de naviguer entre un désir légitime d' indépendance sans pour autant renoncer aux excès de la passion, une volonté de composer avec ses désirs (aussi bien professionnels que sexuels) et avec ce à quoi la société assigne les femmes : le couple, la maternité...

L'essai est intéressant dans la mesure où il détache les performances de l'actrice des œuvres tout en reconnaissant qu'elle a besoin d'un vrai regard pour s'épanouir. Après s'être repliée sur le théâtre, Emmanuelle Béart est revenue au cinéma avec quelques seconds rôles marquants (Les Passagers de la nuit d'Hers), nous laissant espérer que sa persona pourra à nouveau s'épanouir sur grand écran.

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