Perspective dépravée
Surveillance (2007) de Jennifer Lynch avec Bill Pullman, Julia Ormond
Les quelques films intéressants (sur le papier) sortis cet été (Im Kwon-Taek, Hong Sang-Soo…) n’étant toujours pas arrivés jusqu’à nos salles obscures bourguignonnes, je me suis rabattu sur le curieux thriller réalisé par Jennifer Lynch qui redonne enfin de ses nouvelles après son Boxing Helena sorti il y a déjà 15 ans et que je n’ai toujours pas vu.
Lorsque débute le générique, on se dit que bon sang ne saurait mentir et l’on craint même un instant que la cinéaste se contente de répéter consciencieusement les leçons bien retenues de papa. A ce titre, le début du film est édifiant : séquence baignant dans une obscurité soudainement trouée par des flashs lumineux, inserts sur des objets et ralentis lorsque éclate la violence, bande-son très travaillée où l’on reconnaît le très caractéristique nappage de basses lynchien rompu brusquement par des stridences stressantes…
Mais une fois ce prologue passé et l’hommage au paternel rendu, Jennifer Lynch peut avancer sur un autre terrain et tenter, chose difficile, de se faire un prénom.
Au premier abord, Surveillance a tout du « polar de l’été » dans le style du très surestimé Usual suspects : intrigue policière solidement charpentée, confrontations de points de vue qui finissent par rassembler petit à petit toutes les pièces du puzzle, retournements de situations spectaculaires… Malgré le côté très « verrouillé » d’un film qui joue essentiellement sur la résolution d’une enquête aux fils entremêlés (une fois qu’on connaît l’astuce, je ne suis pas sûr que le film éveille de la même manière l’intérêt), Jennifer Lynch parvient à dépasser le simple exercice de style et à nous offrir de jolis moments de cinéma.
Difficile de parler d’un film dont il ne faut surtout pas déflorer l’intrigue puisque c’est dans son mystère peu à peu éclairci que réside le plaisir du spectateur. Disons qu’un meurtre a été commis (par des tueurs masqués) dans une petite bourgade paumée et que deux agents du FBI (Bill Pullman, le saxophoniste de Lost Highway et la sublime Julia Ormond) ont été détachés pour résoudre l’enquête. Ils vont interroger trois témoins (un officier local, une junkie et une petite fille) qui vont nous faire revivre les événements…
Le début est plutôt classique : le couple de fédéraux, les rivalités entre les services, la manière dont se déroulent les interrogatoires… Puis, la cinéaste nous convie à un dispositif qui rappelle, toutes proportions gardées, celui de Rashomon de Kurosawa : trois témoins, trois points de vue différents sur le même événement. Ce que le dispositif pourrait avoir d’un peu scolaire (chaque témoin parle l’un après l’autre et la mise en scène se contente d’illustrer ce qu’il dit) s’avère vite passionnant car Lynch prend bien soin de dissocier la parole de l’image. Ce n’est plus de la confrontation de divers points de vue que naît une hypothétique « vérité », pas plus que d’une parole que semblent contredire les images et qui engendre un climat de suspicion généralisée.
Si les personnages mentent pour des raisons que je ne dévoilerai pas (ne comptez pas sur moi !), ils ne partent pourtant pas dans l’affabulation la plus complète, ce qui permet à la cinéaste de jouer sur une constante ambiguïté entre le vrai et le faux, le bien et le mal (à ce titre, les deux flics locaux mêlés à l’aventure sont assez exemplaires).
Toute la mise en scène, habile et en même temps plus inspirée que ça, joue sur la dissociation image/son. Vers la fin du film, la petite confie à l’oreille de Bill Pullman un secret qui fait basculer le récit vers sa résolution. Nous n’entendrons ce secret qu’à la toute dernière image et l’effet de dissociation est absolument remarquable, révélant une fois de plus les chausse-trappes que dissimulent les images et les sons. Tout se passe comme si le scénario du film, trop bien huilé, était lui-même victime de perspectives sans arrêt faussées. A l’image de ce plan superbe de trois voitures bien alignées sur une route désertique, Surveillance fait mine d’être une simple juxtaposition de faits rectilignes pour finalement s’aventurer sur des terrains moins balisés et plus mouvants. La joyeuse amoralité de la conclusion (un peu forcée mais finalement assez intéressante) ne fait que renforcer ce sentiment que le film s’est aussi joué ailleurs que dans les rouages un tantinet roublards de son scénario.
Cela ne fait pas de Surveillance un chef-d’œuvre impérissable mais un film assez passionnant et tout à fait recommandable…